
Chapitre 8
Toujours aussi brun, les cheveux plus longs que dans son souvenir, elle retrouva sa fossette quand il souriait.
— Cléo ? C’est bien toi ?
Elle se jeta dans ses bras.
— Ulysse ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
— Maestro m’a appelé pour que je sois ton styliste. Figure-toi que ma boîte s’occupe des costumes d’époque, ça tombe bien.
Un peu plus âgé qu’elle, il assumait déjà quelques cheveux blancs et quelques rides au coin des yeux. Cléo n’en revenait pas de la chance qu’elle avait.
Marjorie, Tonio et Clémentine regardaient le couple. Voilà une belle équipe qui allait fonctionner, pensa la directrice de casting.
— Raconte ! Tu es marié ? Tu as des enfants ?
Il éclata de rire.
— Ton père m’aimerait encore moins Cléo. Je ne suis pas trop attirée par les femmes.
Tonio s’approcha du styliste, lui mit la main sur l’épaule et dit :
— Bienvenue dans le monde gay chéri !
— Sérieux ? reprit Cléo. Pourtant, je me rappelle qu’elles ne te laissaient pas indifférent.
Il éluda.
— Et toi ?
— Bof moi, rien de spécial. Un BTS tourisme en poche et un poste au Majistic. Rien d’original.
— Tu oublies le rôle dans le nouveau film de Maestro !
Elle avait une journée pour apprendre son texte. Elle tournait le lendemain et le trac la paralysait. Première scène ! ça commençait mal. Elle s’engueulait avec son père. Jamais, elle n’oserait élever la voix contre lui.
La veille au soir, elle avait rencontré toute l’équipe d’acteurs. Arsène l’avait présentée comme la petite nouvelle. Même si elle était la tête d’affiche, il n’avait pas pris de risques. Jean Reno jouait son père. Il avait été très gentil avec elle et l’avait félicitée avant de savoir si elle allait être à la hauteur.
— Ne jamais douter de soi, lui avait-il dit en mettant sa main sur son épaule.
Elle aurait dû immortaliser l’instant.
En regardant le script entier, elle comprit qu’elle avait peu de scène avec lui. Elle ne voyait que Ludivine s’étaler et c’était elle. À Partir de demain, elle deviendrait Ludivine de Montgomery. Elle réalisa rapidement que Jean Reno n’aurait son nom au générique que pour une brève apparition, il disparaissait dans un tragique accident de voiture.
Pierre Niney jouait son frère. Elle n’aurait pas à l’embrasser. C’est la première chose qu’elle avait vérifiée en feuilletant les pages. Elle n’aurait pas pu, impossible !
Elle entendait le brouhaha à l’extérieur et elle, elle était seule avec son texte. Elle se plongea dedans et marcha de long en large en répétant ses phrases. Elle se regarda dans le miroir pour voir la tête qu’elle avait en parlant. Elle fit des grimaces, se mit en colère. Elle se filma avec son téléphone en prenant la pause. Elle passa ses mains dans ses cheveux et chanta.
— Tu as toujours une très jolie voix !
Ulysse était appuyé contre la porte et l’écoutait depuis quelques minutes.
— Je t’ai apporté cette robe. Tonio va arriver pour te coiffer.
Elle saisit le costume.
— C’est vachement décolleté !
— Essaie avant de faire tes commentaires.
Tonio entra avec ses brosses et ses peignes.
— Alors, ma belle rouquine, comment vas-tu ? Et toi ? Ulysse le magnifique, sais-tu que pour toi je serais une jolie Pénélope ?
Il en profita pour battre des cils et minauder devant le styliste. Cléo éclata de rire.
— Ah ! je suis gâtée avec vous deux !
— Passe ta robe que je puisse la retoucher si besoin. Pendant un certain nombre de scènes, c’est celle-là que tu dois porter. Maestro y tient.
La robe jaune et prune s’étalait sur un fauteuil. Le coiffeur ajouta :
— Il souhaite aussi que tu gardes tes cheveux détachés, bouclés, avec un foulard.
— Avec un bandana quoi ! comme il m’a vue sur la plage.
— Tu lui as tapé dans l’œil comme ça !
— Heureusement que je n’étais pas à poil !
Elle saisit la robe et se cacha derrière un paravent. Les deux hommes éclatèrent de rire.
— Tu n’as vraiment pas changé, remarqua Ulysse.
— Tu n’aurais pas eu trop de travail Ulysse.
Tonio lui fit une chiquenaude sur la main.
— Alors cette robe ?
Elle apparut devant eux. Ils sifflèrent de concert d’admiration.
— Parfait ! Je te laisse la coiffer Tonio.
Arsène était sur le pied de guerre. Comme toujours, quand il commençait un film, il était tendu à l’extrême. Les décors étaient sublimes, le matériel était prêt, il s’installa derrière sa caméra. C’est là que Claudio le rejoignit. Tout semblait au point, mais il n’était jamais à l’abri du grain de sable qui vienne tout enrayer.
— Comment te sens-tu ?
— Angoissé ! As-tu vu Cléo ?
— Elle essaie sa robe avec Ulysse. Je l’ai trouvée timide et réservée hier soir et c’est normal.
— Sais-tu si elle a appris son texte ?
Claudio, surpris, contempla son ami.
— Depuis quand t’intéresses-tu à ça ? Ce n’est pas la première fois que tu lances un nouvel acteur ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— Mauvais pressentiment.
Il se leva.
— Je vais voir Marjorie.
Mais au lieu d’aller la retrouver, il changea d’avis et se dirigea vers la pièce allouée à Cléo. Ulysse en sortait. Arsène l’intercepta.
— Tout va bien ?
— Pas de problème, monsieur Maestro. Tonio est en train de coiffer Cléo. Elle en profite pour réciter son texte avec lui.
— Très bien, très bien.
Il fit demi-tour.
Cléo assista au repas avec l’équipe. Elle fit connaissance de la cuisinière qui lui glissa que si elle avait des envies particulières, elle devait lui faire savoir. Elle retrouva sa chambre rapidement pour continuer d’apprendre son rôle.
Elle s’y exerça jusqu’à une heure avancée de la nuit. Elle n’avait aucun problème de mémoire. Elle s’endormit ses feuilles à la main.
C’est Clémentine qui vint frapper à sa porte suivie de Tonio. Il était 7 h du matin.
— Debout Cléo ! Dans une heure et demie, tu dois être prête sur le tournage. Tu dois prendre un petit déjeuner. Impossible de travailler le ventre vide, crois-moi, ton cerveau a besoin de forces.
Cléo sursauta, repoussa la couette. La coiffeuse et le styliste entrèrent en trombe. Tonio s’exclama en contemplant les boucles emmêlées :
— My God !
Il mit ses mains sur ses hanches et fronça les sourcils.
— Debout ! Chérie, il y a du boulot. Tout le monde est déjà sur le pied de guerre. Enfile un truc, Maestro n’aime pas le retard.
Cléo ouvrit la bouche pour s’excuser :
— Je ne me suis… coassa Cléo.
Surprise, elle se tut et mit sa main devant la bouche. C’était quoi cette voix éraillée ? Ils s’exclamèrent en même temps ?
— Tu as pris froid ?
Elle remua la tête en signe de négation.
— Parle nom de Dieu ! cria Tonio.
— J’ai peur !
Clémentine saisit son portable et appela Marjorie. Elle déboula dans la minute qui suivit.
— C’est le trac ! Cléo, tu vas venir prendre un thé chaud avec du miel et…
— J’aime pas le miel.
— Si Maestro entend ça, il va nous faire un malaise, c’est sûr ! se lamenta Tonio. Un début de tournage qui commence comme ça, c’est la galère pour tout le film.
— Tais-toi, oiseau de mauvais augure, grogna Clémentine.
À suivre…