Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Nous étions toutes les deux, Mélusine et moi. Elle m’avait accompagnée dans le food truck, ce qui lui permettait de montrer ce qu’elle confectionnait, avec tous ces bouts de tissus multicolores elle avait du succès. Elle avait des mains de fée mon amie, elle portait bien son prénom, une vraie sorcière.

Entre la vente du pain et ses bavardages, nous n’avons pas vu passer la matinée. Elle avait distribué ses adresses sur les réseaux sociaux et non, elle n’avait pas de boutique physique, juste virtuelle. Il avait fallu qu’elle explique tout ça aux mamies qui ne comprenaient pas toujours, mais dans l’ensemble avec le sourire, elle réussissait à convaincre.

Ravie mon amie, je la regardais noter sur son cahier toutes les commandes qu’elle avait pu faire. Je crois que son plus gros succès était les Tote bags en coton qu’elle fabriquait. Chacune y allait de sa personnalisation, j’étais heureuse pour elle.

Je profitai du calme revenu, midi n’étant pas loin et nous allions remballer, pour faire ma curieuse.

— Comment ça va avec François ?

Elle rit.

 — Je me demandais quand tu allais m’en parler, plutôt bien. Je crois que finalement, je vais en tomber amoureuse, mais je te rassure tout de suite, pas question de vivre ensemble. Je tiens trop à mon indépendance et à notre vie en communauté avec Archibald.

Nous n’avions pas vu un petit groupe de personnes qui s’approchaient avec table de pique-nique et fauteuils. L’un d’eux me demanda :

— Est-ce que ça pose problème si on s’installe ici pour manger vos spécialités ?

Je le reconnaissais. Il avait acheté des sandwichs au fromage de chèvre et au miel.

— Ce serait sympa de déjeuner entre nous, il n’y a pas de bar, ça nous manque un peu de nous retrouver entre amis. Vous n’y voyez pas d’inconvénients ?

Mélusine et moi, nous nous sommes regardées. L’idée ne nous était pas venue, mais pourquoi pas après tout ? Par contre, si nous devions rester plus longtemps que prévu, il faudrait prévenir Archibald que je ne pourrais pas être à l’heure à la boulangerie.

Je contemplai ces personnes d’un certain âge qui s’installaient tranquillement sur la place, devant notre food truck. Nous n’avions que de l’eau à leur offrir, mais ils s’étaient organisés et avaient apporté un petit barricot de vin.

— Vous avez d’autres sandwichs ?

Mélusine s’en occupa, avec le fromage de chèvre et le miel de Morgan, nous pouvions encore un peu assurer, mais bientôt, nous n’aurions plus rien. Je réfléchissais à ce que nous pourrions imaginer pour les prochaines fois.

J’appelai Archibald pour le tenir au courant. Il n’était jamais à court d’idée, il me dit qu’il allait voir avec Saverio. Il avait toujours du jambon basque et du fromage en réserve, pourquoi ne pas lui en acheter ou même utiliser les recettes qu’il proposait à ses clients. Si nous étions en retard, Archibald serait derrière le comptoir et si ça devait se reproduire souvent, il penserait à embaucher quelqu’un à mi-temps.

Le groupe bavardait à qui mieux, riait, et Mélusine et moi voyions bien qu’ils étaient heureux de prendre l’air sur la place tous ensemble.

J’en profitai pour relancer la conversation sur François.

— Il est d’accord François pour vivre séparé ?

— Nous n’avons pas vraiment abordé le sujet, mais je crois qu’il a compris qu’il ne devait pas m’obliger à déménager chez lui. De toute façon, avec ses chambres d’hôtes, il est assez occupé.

— Donc tu n’as pas l’idée de fonder une famille avec lui ?

Elle haussa les sourcils.

— En voilà une drôle de question. Non, je suis bien avec Enzo et la vie que je mène avec toi et Archibald me convient tout à fait. Je ne crois pas que j’arriverai à me détacher de vous deux.

— Et si Archibald tombait amoureux et s’en allait ?

Elle éclata de rire.

— Alors là, ce n’est pas demain la veille qu’il s’en aille.

Je notais qu’elle n’avait pas relevé s’il tombait amoureux. Elle baissa la voix et demanda :

— Et toi MarieSophe ? Tu as oublié Morgan ? Ton cœur est à nouveau libre pour sentir ce qu’il se passe autour de toi ?

— Tu parles de Gabriel ?

— Pas du tout. Lui, ça se voit qu’il en pince pour toi, mais pas toi.

Elle se tourna vers le groupe qui remballait leur table et leurs chaises et qui nous remerciait avec grand sourire de leur avoir permis de s’installer.

— À la semaine prochaine, nous crièrent-ils.

Mélusine les regarda s’en aller et me dit :

— Tu crois que nous devrions faire des frites la prochaine fois ?

— Je ne suis pas sûre que ça marcherait et le food truck n’est pas équipé pour ça. Il faudrait certainement d’autres autorisations.

Nous commençâmes à remballer et sans la regarder je lui racontai la rencontre faite avec le jeune couple Philippine et Georges.  

— Tu te rends compte, ils étaient meilleurs amis, et ils sont devenus mari et femme.

Mélusine ne répondit pas, mais je la vis sourire. Le silence s’installa. C’est elle qui la première reprit :

— Jamais Archibald n’avouera que ses sentiments pour toi ont évolué. Il a bien trop peur de casser quelque chose entre vous.

Ce fut mon tour de rester muette. Je n’avais donc pas rêvé. Archibald ne voyait pas en moi une amie, mais bien plus.

Mélusine posa sa main sur mon bras.

— Et toi MarieSophe ? Ne crois-tu pas que si tu n’as jamais voulu t’installer chez Morgan, c’est aussi à cause des sentiments que tu as pour Archi ? Réfléchis bien, sonde ton cœur, je suis certaine que tu as déjà la réponse. Rien que le fait d’avoir tenté de l’embrasser pour rigoler est une moitié de solution.

— Et si ça ne marchait pas ? Je le connais depuis tellement longtemps ?

— Et alors ?

— Tu ne penses pas que ça changerait quelque chose dans notre fonctionnement à tous les trois ?

— Je serai toujours votre amie, juste vous serez un couple, mais tu sais, tu vas devoir ramer pour qu’Archibald accepter de voir en toi autre chose qu’une amie. Il est fou amoureux de toi, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, mais il ne tentera rien.

Nous avions terminé de ranger, nous pouvions repartir. Le retour se fit en silence. Quand nous arrivâmes devant la maison, Clémentine devait nous guetter derrière sa fenêtre. Elle sortit et je compris aussitôt qu’il se passait quelque chose.

— Charles a disparu. Il m’a dit qu’il allait chercher le pain comme d’habitude, Archibald ne l’a pas vu et personne du village non plus.

© Isabelle-Marie d’Angèle

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Voici la suite du journal de Marie-Sophie. La voilà en Food truck et ça a l’air de bien marcher. Petite surprise ! J’ai invité deux de mes personnages d’une autre histoire, Philippine et Georges de la romance de Noël Noël à la maison des coeurs blessés.

Voilà, c’est fait, le Food-truck était à nous et Cybèle Iraola s’était envolée retrouver son homme. Nous sommes seuls maitres à bord.

Le planning établi par Archibald était tellement ultracarré que j’avais la frousse de me louper. Je n’étais pas fichue de respecter un plan, et il le savait le bougre. Quelle partie de rigolade nous avions eue lorsque j’avais pris le volant pour la première fois, histoire d’avoir l’engin bien en main. Archibald assis à la place du passager me guidait. Finalement, pas trop compliqué la conduite.

Jamais je n’aurai imaginé que nous aurions un tel succès. Évidemment, il n’y avait pas foule devant le comptoir, mais il n’était jamais resté vide et la curiosité des gens faisait plaisir à voir. Les personnes âgées étaient ravies d’avoir de la compagnie et les autres voulaient goûter à tout. En peu de temps, l’étal des fromages de chèvre avait été dévalisé, les baguettes d’Archibald étaient parties rapidement. Heureusement qu’il avait prévu des corbeilles remplies qu’il n’avait pas exposées pour pouvoir faire des sandwichs à la demande. À un moment donné, je voyais les Basques sortir de leur maison tout d’abord pour regarder. Nous étions sur la place du village, bien en vue. Archibald s’était occupé des autorisations, il ne voulait pas d’histoire avec d’éventuels collègues. Il avait bien vérifié qu’il n’y avait pas de boulangerie à qui il pourrait faire du tort sans le vouloir. Si bien que les gens étaient heureux de goûter son pain sans avoir à courir au supermarché qui était le plus prés.

Les habitants désiraient tout connaitre et surtout quand nous repasserions. Archibald avait établi un calendrier. Nous ne devions faire la tournée que 3 jours par semaine dans 3 villages. Ravis de savoir que nous reviendrons la semaine suivante, les clients s’interrogeaient, pouvaient-ils passer commande ? Pourquoi pas ? Comme j’avais l’habitude d’emporter un cahier pour des remarques glanées ici et là, je n’hésitais pas à noter les noms et les demandes. J’écrivis en rouge d’acheter un agenda, sinon j’allais m’emmêler les pinceaux.

Archibald avait affiché son adresse avec une photo de la boulangerie où il y avait ses coordonnées.

Lorsque je vis arriver le couple main dans la main, je pensais immédiatement qu’il faisait chic et je les enviais aussitôt. Archibald me fila un coup de coude et murmura à mon oreille :

— Des touristes, j’en mets ma main à couper.

— Pari tenu !

Nous regardions en souriant l’homme et la femme qui s’avançaient vers nous. Il était plus âgé qu’elle, mais qu’est-ce qu’il dégageait comme classe. Il ôta ses lunettes de soleil pour nous parler. Heureusement que j’étais dans le food truck parce qu’il devait au moins mesurer 1 m 90, Archibald devait être de la même taille.

Instantanément, je fus charmée par sa voix. Archibald fut plus rapide que lui :

— Bonjour, vous connaissez un peu mes produits ?

C’est elle qui répondit, avec ses yeux verts rieurs, elle était à croquer.

— Pas du tout, nous sommes en vacances.

En riant, Archibald et moi nous nous tapâmes dans la main en criant :

— Gagné !

Et tout aussitôt, mon ami s’excusa :

— Nous avions fait le pari que vous étiez des touristes !

Le couple éclata de rire également. Lui, dit en la prenant par les épaules :

— Philippine et moi, adorons aussi faire ce petit jeu.

— Oui, depuis le temps… depuis combien de temps on se connait, mon cœur ?

Surprise, mais ne pouvant pas être trop curieuse, je l’interrogeai :

— Pas des dizaines d’années quand même !

Il rit.

— Oh, ma Philippe, je l’ai vue grandir.

— Nous étions les meilleurs amis du monde avant de nous rendre compte qu’en fait, nous nous aimions d’amour.

Elle piqua un baiser sur les lèvres de son compagnon. Le silence s’installa. Elle dit alors :

— C’est Georges qui vous a surpris pour que vous restiez muets comme des carpes ?

Archibald retrouva aussitôt la parole et éluda la question en leur tendant une assiette avec des morceaux de pain.

— Goûtez-moi ça et dites-moi ce que vous en pensez.

Je les regardais avec envie. Ils semblaient si amoureux l’un de l’autre.

Ils bavardaient avec Archibald et lui demandèrent où se situait sa boulangerie. Ils étaient sur Biarritz au grand hôtel. Ils étaient d’une simplicité à couper le souffle et pourtant j’étais certaine qu’ils étaient pleins aux as. Il n’y avait qu’à voir la voiture garer sur la place. Une Porsche noire qui en jetait, on ne voyait qu’elle.

— Vous êtes là pour longtemps ? demandais-je

— Hélas non, Georges ne peut pas s’éloigner beaucoup à cause de son travail. N’est-ce pas mon cœur ?

Il lui fit un clin d’œil. Leur complicité n’était pas factice. J’étais sous le charme. Je regardais ce qu’ils avaient pris, les encaissais et leur souhaitais de belles vacances. Ils repartirent main dans la main. Archibald passa un bras autour de mes épaules.

— On s’est pas mal débrouillé non ? On remballe ?

J’acquiesçais de la tête. Il était temps de plier bagage, je tenais la boulangerie l’après-midi.

En faisant la route, assise à côté d’Archibald, je repensais à ce couple. Je me tournais vers Archi, j’ouvris la bouche pour lui en parler, mais il me coupa le sifflet par un :

— Oublie ! Ce serait une très mauvaise idée.

Est-ce qu’il penserait à la même chose que moi ? Cette Philippine et ce Georges étaient bien des amis d’enfance apparemment. J’aurais bien aimé les revoir et discuter avec elle et puis je haussai les épaules, je ne la connaissais pas après tout, elle n’allait pas me raconter sa vie. Je tentai de les oublier et me repassai la superbe matinée que nous venions de vivre.

© Isabelle-Marie d’Angèle (mai 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Quand je relis le journal de Marie-Sophie, je me rends compte que depuis mars, je n’avais rien publié. C’était pourtant écrit. Je l’ai remanié et ajouté des choses. J’aime bien Marie-Sophie, avec elle, les pages de sa vie se tournent comme un livre 😊.

— Comment ça tu as embrassé Archibald ?

La lumière était allumée dans la cuisine de Morgan et comme j’en avais ras le bol de cette situation, j’avais frappé à la porte et dès qu’il m’avait ouvert je lui avais annoncé la nouvelle.

Il me regardait avec des yeux ronds et réitéra sa question.

— Tu as bien entendu, j’en ai assez que tu m’ignores. Je ne te crois plus, avoue que tu ne m’aimes plus, ce sera plus facile pour moi.

— Pourquoi viens-tu me dire ça ? Que veux-tu que ça me fasse ?

Je n’en revenais pas. L’accident l’avait complètement changé.

— Sérieusement Morgan, tu apprends que j’attends un enfant de toi, tu continues à faire comme si de rien n’était et…

Il gronda :

— Je ne te laisserai pas tomber pour élever cet enfant, même je le reconnaitrai. Comment faut-il que je te le dise que je ne me souviens de rien et que tu ne me rappelles rien ?

— Tu sais quoi Morgan, je n’ai pas besoin de toi, je me débrouillerai toute seule. Je ne te demanderai plus rien. Désolée de t’avoir dérangé.

Je tournais les talons et m’enfuis en courant.

Mélusine me vit débouler dans la cuisine, la rage au ventre. Je persiflai :

— Plus jamais, je ne veux lui parler. Tu te rends compte de ce qu’il vient de me dire ?

Je lui racontais tout. Archibald arriva au moment où je lui où je disais que je l’avais embrassé. Mélusine chercha le regard de notre ami, il fit non de la tête en soupirant et passa devant nous pour aller se doucher.

— Mais ? Parle Mélusine, tu me comprends au moins ?

— À propos de quoi ou de qui ?

Je soufflais et ne répondis pas. J’en avais assez de toutes ces histoires. Je changeai de sujet en racontant l’offre de Cybèle.

Soudain, j’eus mal au ventre et me pliais en deux. Affolée, Mélusine appela Archibald. Ils n’hésitèrent pas une seconde, l’un me prit dans ses bras et m’emmena dans sa voiture, l’autre conduisit Enzo chez pépé Charles.

— Je vous retrouve à l’hôpital cria Mélusine.

Je fixais Archibald, les dents serrées, il ne quittait pas la route du regard. Elle ne me parut jamais aussi longue. J’avais peur de perdre mon bébé. J’étais certaine que c’était à cause de Morgan que tout ça m’arrivait, il ne voulait plus vivre parce que son papa ne se souvenait pas de lui. Ma décision était prise, je l’aimerais pour deux. Exit Morgan !

Archibald appela Gabriel. Il était de garde comme souvent, il vint aussitôt à notre rencontre et je fus emmenée rapidement pour faire une échographie. Archibald m’accompagna. Il ne lâcha pas main pendant tout le trajet.

C’était un petit garçon et je l’avais perdu.

Même si le médecin m’affirmait que je pourrais en avoir d’autres, même s’il me disait que c’était la nature qui en avait décidé ainsi, pour moi, c’était parce que Morgan ne me reconnaissait plus.

C’est Archibald qui lui annonça la nouvelle puis à pépé Charles. Celui-ci se précipita aussitôt pour me serrer dans ses bras. Cela fit le tour du village en moins de temps qu’il n’en fut pour le dire.

Je sus par Archibald que Saverio avait passé un sacré savon à Morgan. Il n’avait pas mâché ses mots et lui avait affirmé qu’il avait tout foutu en l’air. Mais était-ce sa faute ? Il avait eu un accident, un point c’est tout. Seulement, le choc lui fit revenir la mémoire et Archibald me raconta que Morgan s’était effondré dans le bar de son ami.

C’est par écrit qu’il s’excusa, il ne se sentait pas le courage de me parler en face. Il s’éloignait pour quelque temps. Sa mère ne savait pas où il était parti, mais moi j’étais certaine qu’elle s’en doutait, elle respecterait le vœu de son fils, elle se tairait. Dans sa lettre, il me demandait de prendre soin de son chien, son chat, ses deux vaches, ses biquettes et si je voulais, je pouvais aussi continuer à faire les marchés, mais je n’étais pas obligée. Je pouvais abandonner son activité de bouquets de fleurs séchées si je ne m’en sentais pas capable. Il se rappelait qu’il m’aimait, mais il écrivait qu’il était trop tard et qu’il ne savait pas comment faire pour réparer ce qu’il avait cassé. Dans ses mots, j’entendais sa voix, je le voyais me dire les yeux dans les yeux, qu’il était très malheureux. Je l’imaginais dans ma cuisine, les bras ballants, me contempler et se taire. Il était comme ça Morgan, tout était dans le regard. Il me répétait qu’il m’aimait et qu’il m’aimerait toujours, mais que je devais l’oublier. Lorsqu’il reviendrait, c’est qu’il aurait accepté que nous puissions être amis.

Alors la vie continua sans lui. Les jours passèrent, les semaines puis les mois. J’organisais mon temps entre la boulangerie, les marchés, les animaux de Morgan. J’avais appris à traire les chèvres, il n’en avait que trois heureusement. C’est François qui s’investit pour fabriquer quelques fromages que j’allais vendre sur le marché. Morgan, notait tout dans un cahier. François suivit les recettes à la lettre. C’était du bricolage, mais je tenais à ce que les affaires de Morgan continuent sans lui et qu’il retrouve tout en bon état quand il reviendrait. Je récoltais le miel alors qu’il y avait quelque temps, j’avais une peur bleue des abeilles. Pour ses vaches, heureusement, il fallait juste les conduire au pré. Elles ne produisaient pas de lait. Au début, elles meuglaient à fendre l’âme, Morgan leur manquait, j’en étais certaine. Alors, je me suis mise à leur parler quand je les sortais de leur étable, je faisais de même en allant les rechercher. Le chien, dont je ne me souvenais plus le nom et personne ne sut me le dire, faisait son travail avec elles. Il accepta de dormir chez moi, je l’appelais en le sifflant. Je lui aurai bien donné le nom de Morgan, mais Archibald m’en dissuada. Le chat, très indépendant, mangeait les croquettes, mais il faisait sa vie, il avait tellement l’habitude de venir dans mon jardin qu’il ne remarqua pas l’absence de son maître, je tentais de m’en persuader. C’est Mélusine qui se prit au jeu des bouquets de fleurs séchées. Manuelle, comme elle l’était, ce fut pour elle un jeu d’enfants. Elle me remplaçait à la boulangerie lorsque je faisais le marché. Aussi le jour où Cybèle revint me voir avec son idée de food truck, je lui avouai que je l’avais complètement oubliée.

Mais Archibald, lui, n’avait pas laissé tomber l’affaire et il avait même bien organisé un planning. Quand j’entendis Cybèle tout me présenter, j’en restais sur le cul. Pourquoi ne pas vendre les fromages de chèvre et le miel dans le food truck ? Archibald avait élaboré des recettes de sandwich avec un nouveau pain. Pourquoi ne pas décorer le camion avec les bouquets ? Quelle entreprise ! Ils avaient pensé à tout.

Morgan était parti et la vie continuait sans lui. J’avais perdu un bébé, je n’étais pas la seule, c’était arrivé à bien d’autres femmes. J’en ai fait mon deuil. Archibald et Mélusine m’entouraient de toute leur amitié et Enzo, mon petit filleul, me comblait de câlins, il portait maintenant le nom de Gabriel. Je savais bien quand celui-ci venait le voir, qu’il recherchait aussi ma présence, mais je ne pouvais pas lui donner ce qu’il voulait. Mon cœur n’était capable d’offrir que de l’amitié. En étais-je vraiment certaine ?

Lorsque je contemplais Mélusine qui baissait peu à peu sa garde avec François, je me demandais quand moi, j’aurai la chance d’avoir ainsi un homme qui prendrait soin de moi ? Je l’avais eu, mais je n’avais pas su saisir le bonheur pourtant à portée de ma main. Peut-être que Morgan n’était pas celui qui m’était destiné. J’avais cette idée dans la tête quand Archibald déboula dans la cuisine.

© Isabelle-Marie d’Angèle (avril 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Les jours passaient et mon ventre s’arrondissait. Je me sentais en pleine forme et avec mon poste à la boulangerie d’Archibald, ça passait vite.

Morgan passait de temps en temps pour prendre de mes nouvelles. C’était fou comme ça me faisait bizarre qu’il me traite juste comme une amie, alors que je portais son enfant. Sa mémoire lui faisait toujours défaut enfin juste en ce qui me concernait. J’en venais à me demander si ça ne l’arrangeait pas finalement. Nos rapports étaient comme lorsque je l’avais rencontré la première fois et que j’avais séjourné dans la petite maison où habite maintenant Charles.

Du coup, je passais beaucoup de temps avec mes amis, Enzo et… Gabriel.

J’en parlais justement avec Mélusine. Elle me disait que finalement c’était peut-être ça qui ferait réagir Morgan, un peu de jalousie ne lui ferait pas de mal. Jamais ne laisser deux femmes se lancer dans ce genre d’aventures.

Alors que Gabriel et moi discutions souvent ensemble, Mélusine se rapprochait de François au plus grand bonheur de celui-ci qui commençait à croire que peut-être son rêve le plus cher allait se réaliser.

Je voyais aussi revenir plus souvent Cybèle. Elle s’arrangeait toujours pour venir en fin de matinée ou fin d’après-midi pour que nous puissions discuter. Ce midi-là, elle me proposa de déjeuner avec elle chez Saverio. Surprise et curieuse, j’acceptais.

Elle choisit une table au fond de la salle après avoir salué un bon nombre d’habitués. Elle était connue Cybèle. Saverio vint prendre de mes nouvelles tout en notant la commande. Pas un mot sur Morgan.

Cybèle n’attendit pas longtemps pour m’expliquer le pourquoi de son invitation.

— Je ne vais pas pouvoir m’occuper du foodtruck comme Archibald le souhaitait.

— Mais pourquoi ne pas lui dire vous-même ?

— Parce que je souhaitais vous dire quelque chose…

— Je croyais que nous tutoyions, lui glissais-je en souriant.

— Pardonne-moi quand je suis stressée, j’ai un peu tendance à oublier. Je vais partir avec mon fils… son père… oui il y a un papa qui vit aux Etats-Unis nous propose de le rejoindre.

Naïve, je croyais qu’elle vivait seule, c’était ce que j’avais cru comprendre quand Morgan m’avait mise en garde quand je pensais que Archibald et elle…

— Ah c’est donc pour ça que toi et Archibald…

Elle m’interrompit aussitôt :

— Il n’y a jamais rien eu entre lui et moi, aucune équivoque. Son cœur est pris depuis longtemps de toute façon, Archibald n’est pas libre.

— Mais il m’a dit qu’il s’était pris un vent quand il t’avait…

Elle sourit :

— Il ne m’a jamais rien demandé Marie-Sophie, Archibald est un gars très bien et il a toujours su qu’il y avait un homme dans ma vie.

Je tombais de la lune. Pourquoi m’avait-il raconté des bobards ? Pour que je le laisse tranquille ?

— J’en reviens à ma demande. J’aimerais bien que ce soit toi qui prenne la relève de ma petite entreprise, quand tu auras accouché évidemment.

— Moi dans le foodtruck ? toute seule ?

Je devais avoir les yeux exorbités car Cybèle éclata de rire et posa sa main sur la mienne. Elle me rassura aussitôt.

— Archibald sera avec toi.

— Mais il ne pourra pas abandonner sa boulangerie, je devrais conduire cet engin toute seule.

— Je suis certaine qu’il saura s’organiser, il avait cette idée de toute façon. Une fois son pain cuit, il n’a pas besoin de rester dans sa boutique.

— Et qui vendra son pain si je ne suis pas là ?

— Archibald est le roi de l’organisation, il trouvera une solution. De toute façon, ce n’est pas pour tout de suite, laisse-toi le temps de fabriquer ton bébé. Je ne partirai qu’une fois que je serai certaine que ma petite entreprise sera reprise.

— Tu n’as pas pensé à quelqu’un d’autre ? murmurais-je, inquiète.

— Si ce n’est pas vous, effectivement, je la mettrai sur le marché, mais je voulais tout d’abord te la proposer. Tu ne rouleras pas sur l’or mais tu pourras t’en sortir. Et puis qui sait, Morgan souhaitera peut-être t’aider ?

Elle sourit avec malice et ajouta :

— Tout le village est au courant, c’est le secret de Polichinelle qu’il ne se souvienne de rien te concernant. C’est fou cette histoire, ajouta-t-elle, et ce n’est plus du tout le Morgan que je connaissais. Fuir ses obligations sachant qu’il va être papa, ce n’est pas non plus dans son caractère. C’est bizarre le cerveau quand même et c’est bien triste. En tout cas, je t’admire de continuer de le voir, ça ne doit pas être tous les jours facile.

Nous terminâmes notre repas en bavardant de tout et de rien puis elle me quitta en m’enjoignant de réfléchir sérieusement à sa proposition.

La première chose que je fis en arrivant à la boulangerie c’est d’en discuter avec Archibald. Comme je m’y attendais, il ne sembla pas étonné.

— Tu étais au courant ?

— Elle ne m’en avait pas parlé mais je savais qu’elle voulait vendre. Nous étions les premiers sur sa liste.

— Nous ne sommes pas basques et loin d’être anciens dans le village, elle aurait pu penser à quelqu’un d’autre.

— Mon pain a su la convaincre, dit-il en bombant le torse.

— Je ne savais pas qu’elle sillonnait les routes avec son foodtruck.

— Elle ne fait que les marchés des alentours. Elle ne s’éloigne pas. Elle aurait aimé mais elle ne souhaitait pas s’éloigner de son fils.

Je réfléchissais. L’idée me tentait. J’avais le temps de m’y préparer, je n’en étais qu’à 4 mois de grossesse.

— Au fait… tu le savais qu’elle n’était pas libre et tu l’avais toujours su.

Il ne répondit pas.

— Archi ? Pourquoi m’as-tu raconté des histoires ?

La clochette retentit et Archibald s’avança pour saluer la première cliente de l’après-midi.

— Vous faites un sacré beau couple tous les deux, lâcha la dame. Je prendrais bien le pain aux céréales.

Archibald sourit et ne répondit pas. Il retourna dans son fournil. Je présentais le pain qu’elle glissa sans son sac en toile. Elle sortit son porte-monnaie et au moment de payer me glissa :

— C’est vrai quoi ! Si Morgan vous laisse tomber, avec Monsieur Archibald vous serez heureuse. Et ne me racontez pas que vous êtes juste amis, rien qu’à voir comment il vous dévore des yeux, n’importe qui comprendrait qu’il est fou de vous.

Archibald revint à ce moment-là. Sans réfléchir, je déclarais en riant :

— Après tout pourquoi pas ?

Et je piquais un baiser sur les lèvres de mon meilleur ami.

Elle me tendit le compte juste, sourit et s’en alla.

— C’est quoi ça ? gronda Archibald. Tu es tombée sur la tête ? Tout le village va être au courant, tu n’as pas trouvé meilleure idée pour mettre encore plus le bazar dans ta vie ?

Furieux, il repartit dans son fournil en grommelant. La grossesse te fait faire vraiment n’importe quoi, pensais-je. Mais, insidieusement, l’idée que les lèvres d’Archibald étaient douces et que c’était assez agréable, s’insinua en moi. Je devais vraiment être en manque de câlins pour avoir agi comme ça et j’avais envie de m’amuser.

© Isabelle-Marie d’Angèle (mars 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Je crois qu’un jour je vais me perdre dans mes histoires 😂 et ce serait rigolo. Imagine un peu que mon thriller pique les personnages de Marie-Sophie et vice-versa ? 😂.

J’ai hésité aujourd’hui à publier … Le thriller ? Marie-Sophie ? Plouf plouf 😂.

Qui c’est qui à gagné ?

Archibald et Mélusine n’avaient pas manqué de me demander comment avait réagi Morgan. Nous étions tous les trois affalés dans le canapé du salon. Enzo était couché. J’avais tenté de minimiser la situation, mais Archibald ne cessait de m’interroger.

—  Comment t’en es-tu sorti hein ? Tu as expliqué que tu ne voulais pas emménager avec lui parce que tu préférais ton indépendance ou plutôt parce que tu avais la trouille ? Et pour le bébé, qu’as-tu dit ?

Il ne me laissait pas en placer une et il continuait sur sa lancée.

—  Évidemment qu’il l’a mal pris ! une nouvelle pareille ! Tu sais ce que je crois ? C’est qu’il ne retrouvera la mémoire que lorsque votre histoire à tous les deux sera réglée.

Je regardais Mélusine qui tentait de calmer notre ami.

—  Tu exagères Archi ! Et qu’entends-tu pas régler leur histoire ?

—  Non, mais regardez-vous toutes les deux ! Vous ne vous rendez pas compte comment vous pouvez mettre les hommes malheureux. Toi (il désigna Mélusine), tu as François qui se meurt d’amour pour toi et il n’y a vraiment que toi pour ne pas t’en apercevoir et toi, il me montra du doigt, tu as Gabriel qui te tourne autour et qui est même venu te rejoindre puis Morgan qui est fou de toi depuis longtemps et tu le laisses mijoter. Vous ne valez pas mieux l’une que l’autre.

—  Oh, ça va, tu n’es pas mal non plus, réagissons-nous en même temps. Le célibataire endurci qui…

Il nous coupa brutalement.

—  Peut-être que celle que j’aime n’a toujours rien compris ou n’est pas faite pour moi.

Nous le dévisageons, incrédules. Mélusine tenta une question :

—  Mais, tu ne nous as jamais rien dit qui laissait présager que tu pensais à quelqu’un.

Il haussa les épaules et répondit :

—  Ce n’est pas le sujet.

Nous restâmes silencieux. Nous étions pourtant très liés tous les trois et jamais nous n’avions senti qu’il aimait une jeune femme. Quelle amie étais-je donc ?

Mélusine s’approcha de lui, mais il se rebiffa aussitôt.

—  Laisse tomber !

Puis il me regarda et dit :

— Que comptes-tu faire ? Fuir encore une fois ? D’ailleurs, tu ne nous as jamais raconté pourquoi tu étais partie et que tu avais atterri ici.

C’était vrai et ils ne m’avaient jamais posé de questions. Apparemment, c’était le jour des confidences, mais comment avouer ça ! Archibald insista.

—  Alors ? Si ça trouve c’est pour ça que tu n’arrives pas à te lancer dans une histoire avec Morgan. Quelque chose bloque quelque part, j’en suis certain.

Il se leva et proposa de nous faire une infusion.

—  Réfléchis pendant ce temps-là.

Nous le suivîmes à la cuisine et pendant qu’il remplissait la bouilloire et qu’il nous tournait le dos, je racontais.

—  Je crois que Gabriel ne me laissait pas indifférente, mais une jeune femme avec un gamin a débarqué chez lui, j’ai pensé que c’était son fils et je me suis enfuie.

Mélusine manqua s’étrangler alors qu’Archibald jetait des feuilles de tilleul dans la théière. Aucun des deux ne pipèrent mot. Il installa trois mugs sur un plateau et emmena le tout au salon où nous le suivîmes en silence.

Il murmura :

—  J’imagine que tu ne sais toujours pas qui est cette femme ? Tu ne lui as jamais posé la question ?

Je ne répondis pas.

—  Tu vois Marie-Sophie, si tu n’avais pas fui comme tu en as l’habitude, tu aurais appris que cette inconnue était sa sœur et que le gamin son neveu. Charles le savait, mais il n’a pas eu le temps de te le dire, le lendemain tu étais partie. Imagine un peu si tu étais restée, peut-être que vous seriez un couple avec Gabriel et que Mélusine n’aurait jamais eu l’idée de lui demander d’être le père d’Enzo. Encore un qui a eu le cœur brisé à cause de toi.

—  Tu étais amoureuse de lui ? murmura Mélusine, si j’avais su ça…

Elle s’interrompit et se versa l’infusion.

—  Sa sœur ?

Je bloquai sur la révélation.

—  Eh oui ma grande ! ça change quelque chose aujourd’hui ?

Archibald me regarda et soupira.

—  Finalement, il vaut mieux que Morgan ne se souvienne pas de toi, il serait trop malheureux.

Il se servit une tasse de tilleul.

—  Je vais me coucher, je me lève tôt demain. Bonne nuit les filles !

Mélusine sirotait son infusion les yeux dans le vague. Je ne savais plus quoi dire. Pourquoi avais-je l’impression d’avoir tout gâché ?

—  Tu es amoureuse de Gabriel, Mélusine ?

Sa réponse fusa aussitôt.

—  Jamais, je n’ai eu de sentiments pour lui. Mais toi si ! Je m’en veux, tu ne peux pas savoir à quel point.

Je détestais les triangles amoureux dans les romans, c’était trop compliqué. Ironie du sort, je me trouvais en plein dedans. Entre l’un qui avait demandé sa mutation pour se rapprocher de moi et l’autre qui ne se souvenait pas de moi, j’étais bien ! Pour couronner le tout, j’attendais un bébé du deuxième.

Je regardais Mélusine et lui dit :

—  Tu sais quoi ? Laissons le temps faire son œuvre. Les examens d’aujourd’hui ont révélé que tout allait bien alors je vais profiter de ma grossesse. Et puis ne t’en fais pas, ce qui est passé appartient au passé. Bonne nuit Mélusine.

Je l’embrassais et regagnais ma chambre. Postée à ma fenêtre, je remarquai que la lumière brillait encore chez Morgan.

© Isabelle-Marie d’Angèle (mars 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Maries-Sophie continue de nous raconter ses déboires.

Les jours défilaient, je dirais même les semaines et j’allais bientôt atteindre le 3e mois de grossesse. Je faisais bonne figure à la boulangerie, mais j’eus vite compris que les habitants savaient que Morgan ne se souvenait pas de moi à leurs regards compatissants. Jamais, ils n’avaient osé m’aborder franchement, mais je voyais bien à leurs sourires et leurs soupirs en prenant leur pain qu’ils étaient de tout cœur avec moi.

Le plus malheureux était Saverio qui chaque matin en venant chercher sa commande me suppliait d’être patiente. Il m’affirmait qu’il n’était pas le seul à parler de moi à Morgan, il tentait de lui raviver sa mémoire en lui racontant des anecdotes nous concernant, mais rien n’y faisait.

J’appris par lui que Morgan était suivi par un psychiatre, qu’il s’y rendait régulièrement et qu’à chaque fois il allait s’accouder à son bar. Il se rendait bien compte que quelque chose clochait quand mon nom était cité chez le médecin.

Gabriel me réconfortait d’autant plus que la date de la première échographie approchait. Archibald et Mélusine s’étaient évidemment proposés pour m’accompagner.

C’était justement aujourd’hui. Fébrile, je me préparais. J’allais peut-être connaître le sexe de mon bébé même si Gabriel m’avait dit que c’était un peu tôt. Mélusine me racontait comment ça s’était passé pour elle. Archibald était avec elle. Je m’en voulais encore d’avoir été absente pour elle. Elle assurait que tout ça, c’était oublié.

Je sirotais mon café devant la fenêtre de la cuisine quand je vis apparaître dans le jardin comme avant, Morgan.

Le cœur battant, je posais ma tasse sur l’évier et lui ouvrais la porte.

— Je vous dérange peut-être ? Vous alliez partir ?

Je bégayais.

— Heu… non. Je… tu veux bien me tutoyer, le vous me stresse.

Il hocha la tête.

— Tu as une minute ?

Je jetai un coup d’œil au coucou accroché au-dessus de la table. Archibald n’allait pas tarder, il prendrait au passage Mélusine qui laissait Enzo chez François.

Morgan entra dans la cuisine. Il y était si souvent avant son accident que ça me faisait tout drôle.

— Tu me sers un café ?

Machinalement, il s’approcha du placard pour saisir sa tasse comme il le faisait habituellement. Je retins mon souffle. Il se tourna vers moi.

— C’est là ?

Il ouvrit la porte et prit son mug sans aucune hésitation. Je n’osais faire un geste. Il se servit comme s’il était chez lui.

— Mon psychiatre me préconise de te voir souvent. Il dit qu’il y a un blocage, il ne le comprend pas. Saverio ne cesse de me raconter tout ce que nous faisions ensemble, il m’affirme que je n’ai pas arrêté de lui dire que tu étais la femme de ma vie.

Morgan débitait ces mots sans me regarder et soudain il se tourna vers moi.

— Pourquoi je ne m’en souviens pas ?

Il soupira.

À cet instant précis, ma décision fut prise.

— Excuse-moi, j’ai un coup de fil à passer. Es-tu libre là tout de suite ?

Je n’attendis pas sa réponse et appelai Archibald.

— Tu allais partir ? demanda Morgan en déposant son mug sur l’évier.

— Oui et tu vas m’accompagner. J’ai quelque chose à te montrer, peut-être que ça t’aidera à te souvenir.

Je m’installai au volant et Morgan s’assit côté passager. Le trajet jusqu’à l’hôpital se fit dans le silence, mais quand il reconnut l’endroit, il se tourna vers moi et je sentis son inquiétude.

— Tu es malade ?

Je lui souris sans répondre. Ensemble, nous nous dirigeâmes à l’accueil.

Nous n’attendîmes pas longtemps. La gynécologue nous invitâmes à entrer.

— Comment allez-vous, madame Delully ? Ravie de vous rencontrer, monsieur.

Morgan lui fit un signe de tête. Il avait dû réaliser que nous étions dans un service typiquement féminin, à regarder les patientes qui affichaient toutes un ventre plus ou moins rebondi.

Elle nous proposa de passer dans la pièce adjacente cachée par un paravent, je m’allongeai sur la table. Morgan me suivit.

Quand il vit qu’elle me soulevait le pull et qu’elle étalait du gel sur mon ventre, il haussa les sourcils.

La gynécologue mit certainement ça sur le compte de l’anxiété, elle ne fit aucun commentaire.

Dès qu’elle commença l’examen, nous entendîmes immédiatement le battement régulier du petit cœur de notre bébé. Mes yeux se remplirent de larmes et je fixai Morgan qui ne lâchait pas du regard l’appareil, alors que le médecin affirmait que le fœtus était en pleine forme, il n’y en avait qu’un, nous dit-elle en souriant. Je n’écoutais rien, je surveillai la réaction de Morgan.

C’est alors qu’elle nous demanda :

— Souhaitez-vous connaître le sexe de votre enfant ?

Ce fut Morgan qui répondit.

— Vous pouvez déjà le voir ?

Elle rit.

— C’est un bébé bien constitué, j’ai l’impression que vous approchez des quatre mois. Il faudra revérifier les dates de vos dernières règles madame. Alors, je vous l’annonce ou vous préférez avoir la surprise ?

Morgan me regarda, il sourit et je pensai retrouver enfin le Morgan d’avant.

— C’est toi qui décides…

Il se pencha vers moi et murmura à mon oreille :

— Je ne me souviens de rien, tu me l’avais dit ? Comment ai-je pu oublier une nouvelle de cette importance ?

© Isabelle-Marie d’Angèle (février 2023)

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Alors oui, c’est la Saint-Valentin 💖, oui je suis romantique et fan de romance et tout et tout 😉, mais je suis aussi une sacrée nana qui n’a pas toujours envie de faire comme tout le monde et d’être en décalé.

L’histoire de Marie-Sophie continue mais ce n’est pas de ma faute si ce n’est pas la fête des amoureux dans sa vie 😂

Morgan était rentré chez lui, mais je ne le reconnaissais pas. Il y eut cette réflexion lancée à Gabriel quand j’étais venue le chercher. Alors que je m’approchais de lui pour l’embrasser, il s’était reculé et avait tancé le médecin :

– Pourquoi me dis-tu que je suis avec cette… dame (il me désigna du menton) alors que tu en pinces pour elle, ça saute aux yeux. Je ne suis pas idiot.

Sans lui laisser le temps de répondre, il m’apostropha et j’eus du mal à reconnaitre sa voix, tellement elle était grinçante.

– Et vous ? Pourquoi me faire croire que nous habitons ensemble alors que je n’en ai absolument aucun souvenir ? Par contre, je sais parfaitement que toi, toubib, tu es amoureux d’elle.

Il se leva tranquillement, refusant qu’on l’aide alors que je voyais bien qu’il avait la tête qui tournait, il chancelait légèrement, il demanda où était Saverio.

La voix du barman résonna derrière moi, j’ignorais qu’il l’avait appelé.

– Désolé Marie-Sophie, me glissa-t-il à l’oreille, c’est moi qui le ramène, il n’a pas voulu que ce soit quelqu’un d’autre.

Agacée, j’apostrophai Morgan d’un ton que j’espérais ferme :

– De toute façon, ta maison est au bout de mon jardin, nous nous verrons régulièrement. Et ne raconte pas de bêtises, il n’y a absolument rien entre Gabriel et moi. S’il te plait abandonne cette façon de parler avec moi, je ne te reconnais plus.

– Alors nous sommes deux !

Il passa devant moi, adressant un signe de tête à Gabriel qui lui tendit des papiers et l’invita à se rendre à l’accueil pour les formalités de sortie. Il quitta la chambre sans un regard vers moi.

La colère grondait et je courus derrière lui alors que Gabriel tentait de me retenir. J’attrapai Morgan par l’épaule, l’obligeait à se retourner, et d’une voix tremblante que j’eus du mal à maîtriser, je débitai :

– Sais-tu que j’ai quitté ma maison pour toi ? Mes amis m’ont suivie, Archibald a repris sa boulangerie, Mélusine son activité de couturière. Même Pépé Charles a tout vendu pour nous rejoindre. Ne me raconte pas qu’il voulait être auprès de ta mère, c’est aussi parce qu’il souhaitait que nous soyons réunis. D’accord, nous ne vivons pas sous le même toit, mais nous partageons tellement de choses. Tu m’as aidé pour la maison, tu as tout fait pour qu’Archibald s’intègre dans le village. Nous sommes heureux tous ensemble, ne me dis pas que tu ne te souviens de rien. Si c’est le cas… alors je repartirai et tu te retrouveras tout seul comme un con. J’attends que tu me le dises en face Morgan ! Un jour, tu risqueras de regretter ton choix.

Je le lâchai, passai devant lui et lui criai :

– Tu me trouveras à la boulangerie, je vais reprendre mon poste chez Archibald. Il m’avait laissé ma journée pour que je puisse m’occuper de toi, mais comme tu n’as pas besoin de moi, je m’en vais.

Je filai vers la sortie sans me retourner. Il ne devait pas voir combien j’étais malheureuse et que les larmes emplissaient mes yeux.

J’entendis Saverio m’appeler. Je savais qu’il craignait que je ne fasse une bêtise, mais maintenant que j’avais un bébé dans le ventre, je ne le mettrai en danger pour rien au monde.

Gabriel me rattrapa et me dit que la mémoire de Morgan allait lui revenir, que je devais être patiente. Je haussai les épaules et sortis de l’hôpital.

Je passai tout d’abord chez moi où je retrouvai Mélusine entourée de ses coupons de tissus multicolores. Elle s’était installée dans une pièce qu’elle avait aménagée à son goût. Je lui racontai tout. Elle me prit dans ses bras, mais je me dégageai en lui disant que ça ne se passerait pas comme ça, s’il me rejetait, je repartais n’importe où, mais jamais il ne saurait qu’il avait un gamin. Aussitôt, Mélusine m’affirma qu’elle me suivrait et que nous élèverions nos enfants seules, nous ne serions pas les premières mères célibataires dans ce cas-là. Elle m’assura qu’elle n’avait aucune attache et que sa boutique en ligne, qu’elle soit ici ou ailleurs n’avait aucune importance. Elle ajouta tout de même que si la mémoire de Morgan était défaillante c’était peut-être parce que je devrais lui parler du bébé et enfin m’installer avec lui. Aurait-il senti un danger avec Gabriel ?

– Je te dis ça, mais je ne dis rien, je suis très mal placée pour te donner des conseils, et elle me fit un clin d’œil.

Je me changeai et repartis à pied vers la boulangerie. C’était pépé Charles qui était derrière le comptoir. Il tenait la conversation aux clients et la file s’allongeait jusque sur le trottoir. Dès qu’il m’aperçut, il lança à la cantonade qu’il abandonnait son poste, mais qu’on pouvait le retrouver au bar de Saverio pour continuer de bavarder autour d’un café.

Aussitôt, tous m’interrogèrent sur la santé de Morgan. Je les rassurai en affirmant qu’il allait bien et je commençai à distribuer des baguettes et des pains en tout genre à tour de bras.

Archibald vint aux nouvelles quand la boutique fut vide.

– Heureusement que tu es arrivée, j’ai bien cru que tout le village allait s’installer ici. Je peux préparer une autre fournée, il ne reste plus rien.

Il me demanda comment ça s’était passé avec Morgan. Je lui racontais tout et ajoutais comme à Mélusine que je n’hésiterais pas à partir.

Archibald me sidéra par sa réponse :

– Je trouve le food truck de mes rêves et je te suis. Nous sillonnerons les routes, une fois que nous aurons dégoté une grande maison pour nous tous, parce qu’avec les deux gamins, il nous faut un pied à terre pour qu’ils puissent aller à l’école.

– Tu es sérieux ? Tout ce que tu as créé ici, tu l’abandonnerais ?

– Sans hésiter, sans toi MarieSophe, je ne peux pas respirer. Mélusine et toi, vous êtes ma famille. Il y a maintenant Enzo et puis le petit bout là…

Il posa sa main sur mon ventre. Les larmes me montèrent aux yeux instantanément. Archibald ferait un excellent papa si Morgan ne se souvenait pas de moi.

Quand nous rentrâmes le soir à la maison, il n’y avait que Mélusine et Enzo et quatre couverts installés sur la table. Morgan n’était pas là, mon amie ne l’avait pas vu. Il y avait pourtant de la lumière chez lui.

© Isabelle-Marie d’Angèle (février 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Quand je te disais que mes personnages m’embarquaient dans leurs péripéties, lis un peu ce qui arrive à Marie-Sophie 😉.

J’aurais dû lui parler… ce jour-là tout bascula…

J’étais à la boulangerie quand je vis débarquer Saverio. Il semblait très agité. Il me salua d’un signe de tête et passa dans le fournil. Comme il avait l’habitude de venir chercher ses commandes, je n’ai pas été surprise, mais mon portable bipa au même moment. C’était Gabriel. Inquiète, parce qu’il était tôt, j’ai pensé immédiatement à un accident, j’avais raison. Morgan était aux urgences.

Saverio revenait accompagné d’Archibald. Je lui tendis mon téléphone, incapable d’entendre ce que Gabriel allait me dire.

Saverio me prit dans ses bras. Il savait lui aussi. Morgan avait eu beaucoup de chance, sa camionnette était bonne pour la casse, mais lui il était indemne.

Saverio accepta de m’emmener immédiatement, Archibald appela Mélusine. Pépé Charles garderait Enzo. Célestine était déjà au chevet de son fils.

Alors que Saverio tentait de faire la conversation dans la voiture, je restai muette. Je posai ma main droite sur mon ventre comme pour protéger ce petit être qui grandissait en moi. Je n’arrêtais pas de penser que j’avais eu maintes occasions d’annoncer la nouvelle à Morgan, mais j’avais toujours reculé, prétextant que ce n’était jamais le bon moment. Tout à l’heure, je lui dirai, je me le suis promis, assise dans ce véhicule qui m’emmenait vers lui. Je réalisai alors que j’aimais Morgan, que sans lui, je n’étais pas grand-chose. Pourquoi fallait-il que je m’en rende compte aujourd’hui ?

Saverio se gara sur le parking et nous nous dirigeâmes vers les urgences. Gabriel m’y attendait. À croire qu’Archibald l’avait prévenu de mon arrivée, mais pas du tout, il avait été bipé parce qu’une ambulance déboulait sirène hurlante.

Gabriel eut juste le temps de me donner le numéro de la chambre où nous pouvions trouver Morgan. J’entendis qu’il murmurait vaguement quelque chose à Saverio, mais je fonçais sans l’attendre.

Sa maman était à son chevet. Elle se leva. Elle semblait sereine, je m’approchai de Morgan. Il me sourit.

— Tu es revenue ? Qui t’a prévenue ? Il y a longtemps pas vrai ? Il a fallu ce stupide accident pour que tu t’aperçoives que tu avais fait la plus belle erreur de ta vie ? Mais je te pardonne.

Je ne comprenais rien à ce qu’il racontait. Il saisit ma main et me tira vers lui. Célestine s’interposa et de sa voix douce me glissa :

— Ne fais pas attention, il est un peu confus. Les médecins m’avaient prévenue, mais je ne m’étais rendu compte de rien, ses propos étaient tout à fait normaux.

Saverio entra alors dans la chambre. Morgan se tourna vers lui et un nouveau sourire éclaira son visage.

— Saverio ! J’ai dû vous flanquer une sacrée trouille pour que tu te radines aussi vite. Regarde qui est là ? Je sais bien que tu ne l’aimais pas beaucoup, mais tu vois, elle est revenue. C’est toi qui l’as appelée ?

Saverio pâlit. Gabriel entra à son tour dans la chambre. Avec sa blouse blanche, il m’impressionna surtout dès qu’il prit sa voix de médecin pour demander à Morgan comment il allait et de lui décliner son nom et la date.

— Morgan Castille. Je crois que nous sommes en janvier.

— Peux-tu me dire qui sont ces personnes ?

Morgan s’exécuta de bonne grâce. Il nomma Saverio, Célestine sa maman, mais quand vint mon tour, mon cœur manqua un battement.

— Voici Marie, la femme de ma vie. Elle était partie, mais elle est revenue.

Gabriel le reprit gentiment :

— Marie-Sophie, tu veux dire, elle habite à côté de ta maison.

Sa voix fut sans appel et il retira sa main de la mienne.

— Je ne connais pas de Marie-Sophie. Toi, tu es Gabriel, je le sais, tu es le papa d’Enzo.

Patiemment, Gabriel continua :

— Exactement et comme tu le dis, Enzo vit avec Mélusine sa maman et Marie-Sophie que voilà. C’est avec elle que tu as fait ta vie.

Morgan me dévisagea et s’excusa :

— Je suis désolé…

Je m’approchais de lui et voulus lui reprendre sa main, comme nous avions l’habitude de le faire, de glisser mes doigts entre les siens. Il les cacha sous les draps et demanda à Saverio.

— Marie n’est donc pas revenue ?

Saverio répondit brutalement :

— Tu sais ce que je pensais d’elle. Elle n’était pas pour toi. C’est Marie-Sophie, ta femme.

— Non !

C’était sans appel et le cœur en lambeaux, je sortis en courant de la chambre. Gabriel me rattrapa dans le couloir et m’entraina à l’extérieur.

— C’est le choc qu’il a reçu sur la tête. Au scanner, il n’y a rien, mais il a certainement subi un traumatisme. Si tu avais vu la voiture, tu comprendrais qu’il a vraiment eu beaucoup de chance, il n’a aucune fracture. Sa mémoire lui fait un peu défaut, mais elle va revenir.

Je pleurai sans retenue dans ses bras, me moquant de ce que les infirmières pouvaient penser. Je hoquetai sur son épaule.

— Il ne savait pas encore pour ma grossesse.

— Tu pourras lui annoncer d’ici quelque temps, je te promets qu’il va se souvenir de toi.

— Je ne connaissais pas cette autre femme.

— Morgan a vécu avant toi, c’est normal qu’il ait déjà été amoureux. Je dois te laisser Marie-Sophie, j’appelle Archibald.

— Il ne pourra pas venir, il est occupé.

— Je n’en suis pas aussi certain que toi.

J’aperçus alors mon ami arriver en courant. Je lâchais Gabriel pour me jeter dans ses bras qui se refermèrent sur moi. En pleurant, je débitai que Morgan ne se souvenait pas de moi. Archi me caressa les cheveux et interrogea du regard Gabriel.

— Va le voir Archibald, peut-être que toi, il te reconnaitra et que tu seras le déclic.

Mon ami hocha la tête et nous suivîmes Gabriel. Il nous abandonna à l’accueil et nous repartîmes vers la chambre de Morgan. Dès qu’Archibald entra dans la pièce, le visage de Morgan s’éclaira.

— Ah ! te voilà, mon boulanger préféré. Tu as amené la baguette ?

J’attendis dans le couloir, effondrée.

Célestine et Saverio vinrent m’y rejoindre, ils m’annoncèrent que Morgan rentrerait chez lui rapidement. Ses examens étaient bons. Le neurologue n’avait rien détecté à part cette amnésie, qui ne concernait que moi apparemment. Morgan devrait rencontrer un psychiatre avant de sortir.

Archibald ne resta pas longtemps dans la chambre, il invita Célestine à y retourner et m’entraina ainsi que Saverio. Nous nous retrouvâmes au bar de celui-ci.

Tout le village était déjà au courant de l’accident de Morgan qui était connu comme le loup blanc. Chacun demandait des nouvelles, Saverio n’entrait pas dans les détails, il affirmait que son ami allait bien, qu’il avait eu beaucoup de chance et qu’ils le verraient rapidement. Il ne fit pas mention de son problème de mémoire, certain que c’était temporaire.

— Qui était cette Marie ?

Saverio soupira.

— Dis-moi la vérité, je ne suis pas idiote, Morgan ne vivait pas comme un moine avant de me rencontrer.

— Elle lui a fait beaucoup de mal, mais il n’a jamais voulu l’admettre qu’elle n’était pas pour lui. Quand elle est partie pour faire sa vie avec un touriste qui avait passé quelques semaines dans le département, un écrivain, il a mis des mois à encaisser la trahison. Un véritable coup de foudre, je dois le reconnaitre entre elle et cet homme. Le bouquin qu’il a publié sur la région a été un succès. Mais, il l’avait bel et bien oubliée, Marie-Sophie. Combien de fois est-il venu me dire ici au comptoir combien il était heureux avec toi. Tu es son rayon de soleil. Il ne rêve que d’une chose, c’est que tu deviennes sa femme et que vous ayez des enfants. C’est pour ça que je t’affirme qu’il va recouvrer la mémoire rapidement. Ce n’est pas possible autrement, il t’a dans la peau. La première fois qu’il t’a vue, il est aussitôt venu m’en parler et je le cite Tu sais Saverio, je crois que j’ai trouvé mon âme sœur.

Archibald posa sa main sur la mienne et la serra. Je levai alors la tête et affirmai :

— Je vais me battre, je vous garantis qu’il va se souvenir de moi.

© Isabelle-Marie d’Angèle (février 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Je ne m’attendais pas à la tournure qu’allait prendre la vie de Marie-Sophie, bon, mes personnages n’en font qu’à leur tête de toute façon 😏.

Je suis enceinte ! voilà une nouvelle à laquelle je ne m’attendais pas du tout.

C’est Gabriel qui m’a fait la prise de sang. Il ne m’a pas trouvée en forme quand il était venu diner à la maison et je n’ai pas compris pas ce qui l’avait alerté, peut-être son flair de toubib. Il faut dire que depuis ma tentative d’en finir, je suis surveillée comme le lait sur le feu.

Le jour où je ne travaillais pas à la boulangerie, j’étais allée à l’hôpital où le résultat était tombé rapidement. Je revois la tête de Gabriel quand il m’a tendu la feuille.

— Tu as lu ? lui demandais-je innocemment. À voir ta tête, je crois que oui.

J’avais baissé les yeux et il m’avait fallu quelques minutes pour réaliser. Lorsque je rencontrai son regard, je bafouillai un ce n’est pas possible auquel il avait répondu :

— Tu n’es pas heureuse ? Si je comprends bien ce n’était pas prévu.

Je n’avais pas réagi. Il me parla alors des futurs examens à faire, des rendez-vous à programmer pour le suivi de ma grossesse, mais je n’avais rien enregistré.

Depuis, je ne savais pas quoi faire. Les mots tournaient en rond dans ma tête. Je devrais annoncer la nouvelle à Morgan, c’était la première chose à faire sauf que je n’y arrivais pas et je ne comprenais pas pourquoi. Je posais régulièrement la main sur mon ventre en imaginant ce petit être qui grandissait en moi, oui je crois que j’étais heureuse, mais je réalisais que j’avais envie de l’avoir toute seule ce bébé. C’était malin d’avoir tant critiqué Mélusine, je ne valais pas mieux qu’elle surtout que là, il y avait bien un papa.

Je devais bien me l’avouer, le retour de Gabriel avait tout chamboulé. Que faire si ce n’est me tourner vers mon ami de toujours ? Il serait de bon conseil j’en étais certaine.

Un soir, quand nous nous étions retrouvés tous les deux pour fermer la boulangerie, je parlais à Archibald. Je ne m’attendais pas à voir ses yeux se remplir de larmes et qu’il me serre dans ses bras.

— C’est merveilleux MarieSophe, tu vas avoir un bébé. Quelle bonne nouvelle, je suis tellement heureux pour toi.

Il me fixait la mine réjouie et ajouta en riant :

— Quel cachottier Morgan, je l’ai encore vu ce matin et il ne m’a rien dit le bougre ! Ah ! il sait tenir sa langue le coquin !

— Il n’est pas au courant.

Stupéfait, Archibald se recula pour mieux me regarder.

— Attends, pourquoi ne lui as-tu rien dit ? Je ne sais pas moi, mais dans tes films de romance, la fille profite d’un moment de complicité pour annoncer la nouvelle avec des petits chaussons enrubannés dans une boîte, un truc comme ça, tu vois. Toi, la plus romantique des nanas que je connaisse, tu n’as pas fait ça ? Il faut que tu m’expliques là !

— C’est Gabriel qui…

Archibald s’éloigna de moi et gronda :

— Décidément, il est revenu pour foutre le bordel, lui ! 

Mon ami arpentait la boulangerie, les mains dans les poches. Il fulminait.

— Pourquoi est-ce lui qui est courant MarieSophe ? Ne me dis pas que tu craques pour lui ? Morgan ne mérite pas ça, je l’aime vraiment ce type.

— Mais que vas-tu t’imaginer ? C’est Gabriel le médecin qui est au courant. Il ne m’a pas vue bien, il a voulu me faire une prise de sang, c’est tout.

— Comme par hasard pour savoir si tu étais enceinte ? Tu sais qu’un test en pharmacie aurait pu faire l’affaire ? De quoi se mêle-t-il ? Il est revenu te tourner autour MarieSophe et toi tu le laisses faire. C’est sûr qu’apprendre qu’Enzo était son fils a dû changer ses plans.

Archibald bougonnait, il était furieux. Je me souvenais du temps où Gabriel était apparu dans ma vie et qu’il habitait en face de chez moi, Archibald ne l’aimait pas. Je pensais que c’était du passé, il semblerait que ce ne soit pas le cas.

— Je vais lui parler !

— Tu ne vas rien faire du tout Archi !

— Alors tu annonces illico presto la nouvelle à Morgan.

Je grondai à mon tour :

— Est-ce que je me mêle de ton histoire avec Cybèle ?

Il fronça les sourcils et se campa devant moi, les mains sur les hanches.

— Quel est le rapport ?

— Toi aussi tu pourrais lui parler et lui dire que tu en pinces pour elle !

— Je l’ai fait.

— Et tu ne m’as rien dit ?

Je sens la colère monter, il ne m’avait jamais rien caché.

— Pour la bonne raison que je me suis pris une fin de non-recevoir. Se prendre un vent à mon âge, pas de quoi en faire des histoires.

Je m’approchai de lui et posai ma main sur son bras.

— Tu es triste ?

— Même pas ! Je crois que je suis condamné à rester célibataire.

Il saisit mon visage et me regarda droit dans les yeux.

— MarieSophe, dis-moi pourquoi tu ne veux pas en parler à Morgan ? Tu n’es pas heureuse ? Rassure-moi, tu le désires ce bébé ?

Je baissai la tête, il me la releva aussitôt. Je murmurai :

— Laisse-moi un peu de temps. C’est tout nouveau de toute façon.

— Et si tu en discutais avec Mélusine ?

Je soupirais. Ce n’était plus comme avant avec elle et je n’avais pas envie d’écouter ses conseils. Archibald le comprit. Il me prit par les épaules.

— Allez viens, rentrons, je garderai ton secret le temps qu’il te faudra. Mais, tel que je connais Morgan, il ne sera pas long à le découvrir.

© Isabelle-Marie d’Angèle (janvier 2023).

À très vite…

Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Les journées à la boulangerie passent toujours très vite. Morgan vient souvent me faire un petit coucou. Il en profite pour ramener du pain pour le repas du soir. C’est bientôt la fermeture, il ne reste pratiquement rien sur les étagères. Pour en avoir discuté avec Archibald, il est ravi. Si ça continue comme ça, ce qu’il a investi sera récupéré. Il a toujours l’idée de son food truck. Il ne parle guère de Cybèle Iraola, et j’avoue qu’avec l’histoire de Gabriel et Mélusine, la jeune femme m’est complètement sortie de la tête. Mais quand on parle du loup, la voilà qui entre dans la boutique.

Elle me sourit puis regarde, navrée, l’étal vide.

— Je crois que je suis encore arrivée trop tard.

— Il reste une baguette aux céréales, c’est tout, je suis désolée. Mais pourquoi ne réservez-vous pas le matin, ainsi ça vous éviterait de vous déplacer pour rien.

Sur ces entrefaites, Archibald nous rejoint, souvent nous fermons la boutique ensemble et repartons tous les deux.

— Bonsoir Cybèle.

Il lui fait la bise.

— Je vais prendre la baguette et pour demain vous me gardez le pain spécial, c’est d’accord ?

Je note sur le grand cahier ce qu’elle souhaite. Elle paie et s’en va.

Surprise, j’interroge mon ami du regard.

— Elle ne devait pas avoir envie de discuter, grommelle Archibald. On ferme, je t’aide à ranger.

J’avais déjà fait le plus gros, il restait le coup de balai à passer. La caisse était faite. Ce n’est pas l’argent de la baguette qui allait changer grand-chose.

— Saverio m’a parlé d’une femme qui pour quelques heures accepterait de faire le ménage ici. C’est celle qui s’occupe des chambres d’hôtes de François, ainsi tu pourrais repartir plus tôt le soir.

— C’est toi le patron.

Archibald tire les stores et descend le volet roulant, nous sortirons par-derrière. Je le vois qui suspend son geste, il ouvre la porte et Mélusine apparait, seule.

— J’ai laissé Enzo avec Morgan, nous rassure-t-elle. Je voulais te parler, tu veux bien MarieSophe ?

Archibald fait mine de s’en aller, mais elle le retient par la main. Il nous entraine alors dans son fournil où l’odeur de pain distille toujours une ambiance de zénitude.

Elle ne s’embarrasse pas de préambule et attaque d’entrée. Je la reconnais bien là, elle va droit au but.

— Je suis désolée Marie-Sophie si je t’ai blessée. C’est vrai que je n’ai pas réfléchi aux conséquences, j’étais complètement obnubilée par cette envie d’avoir un bébé et Gabriel m’a semblé l’homme de la situation.

— L’homme de la situation ?

Je suis stupéfaite.

— Oui enfin… il était le seul que je connaissais et en qui j’avais confiance.

— Et si j’étais amoureuse de lui ? Tu y as pensé ?

D’un coup, la situation m’échappe. Je n’ai plus envie de savoir ni de comprendre, comme l’a dit Archibald c’est son histoire. C’est elle qui s’en dépatouillera quand Enzo posera des questions. Je la regarde dans les yeux, hausse les épaules et grommelle :

— Laisse tomber, tout ça n’a plus d’importance. Enzo est là, tu es heureuse avec lui, il l’est aussi parce qu’il a trouvé un papa. C’est toi seule qui géreras la situation quand le moment sera venu.

— Je ne voudrais pas que notre amitié en pâtisse, murmure-t-elle.

— Tu ne crois pas qu’il fallait y penser avant ?

— Que dois-je faire ?

Comme toujours, elle a le don de m’émouvoir. Archibald qui n’a rien dit, passe un bras autour de mes épaules et répond à ma place.

— Rien. Laisse le temps faire son œuvre, on verra bien.

— Marie-Sophie ?

Je ne sais même plus quoi dire. Cette situation me dépasse, je soupire.

— On rentre ? Je suis un peu fatiguée.

Archibald nous entraine, ferme la porte derrière lui et nous faisons le chemin en silence. J’entends au loin les bêlements des brebis, je respire l’air vif de la soirée. J’aperçois vite les lumières de notre maison.

Nous arrivons et Enzo se jette dans les bras de sa mère comme s’il ne l’avait pas vue depuis longtemps, ce qui fait éclater de rire Morgan. Il a préparé le dîner et ça sent rudement bon. Il a dû faire une soupe avec tous les légumes qu’il n’avait sans doute pas vendus au marché. Je passe à la salle de bains pour me laver les mains et c’est alors qu’une nausée me prend par surprise. Je n’ai rien avalé depuis le midi, pourtant ce n’est pas ce qui manque chez Archibald. Pas question d’alerter mes amis, ils en feraient tout un fromage. Je retourne dans la cuisine où je les retrouve qui papotent joyeusement. Mélusine emmène Enzo pour qu’il prenne son bain, je commence à mettre la table. On frappe au carreau, c’est Gabriel.

Enzo qui a reconnu sa voix quand il nous a salués, descend en trombe l’escalier, torse nu, et se jette dans ses bras. Son bonheur fait plaisir à voir. Gabriel l’embrasse.

— Maman m’a dit que c’était bientôt les inscriptions pour la maternelle. Tu m’y amèneras avec elle ?

Mélusine est revenue chercher son fils, l’eau du bain étant prête. Elle a entendu la question, elle répond à la place de Gabriel.

— Ce n’est pas encore la rentrée, tu as bien le temps d’y penser.

Il n’écoute pas et prend la tête de son père dans ses mains l’obligeant à le regarder bien face.

— Tu viendras ?

— Si je ne suis pas de garde, oui, je viendrai. D’ailleurs, Mélusine, ça tombe bien que tout le monde soit là. J’aimerais régulariser la situation à la mairie. 

Un silence de plomb s’installe dans la cuisine, seul Enzo qui ne comprend pas demande :

— Tu veux dire quoi papa ? C’est quoi régula…riser ?

C’est la première fois qu’il l’appelle comme ça. Gabriel et Mélusine pâlissent en même temps.

Morgan répond aussitôt :

— Gabriel va écrire sur un papier qu’il est ton papa, vu qu’il n’a pas pu le faire quand tu es né.

Enzo va avoir trois ans, il se contente de l’explication.

Je regarde Mélusine. Elle qui voulait avoir un enfant toute seule, c’est raté. Gabriel a bien l’intention de faire valoir ses droits et je suis tout à fait d’accord avec lui. Il ne perd pas de temps et je vois au froncement de sourcils de mon amie qu’elle n’avait pas prévu ça. Je ne peux m’empêcher de penser comme une gamine bien fait ! non mais qu’est-ce qu’elle a cru elle ! Je te fais un gosse dans le dos et basta ? Je connais un peu Gabriel, c’est un mec bien, il ne va pas fuir ses responsabilités, d’autant plus qu’avec la situation qu’il a, Mélusine aura moins de soucis à se faire pour l’éducation de son fils. Mes pensées vagabondent et je ne peux m’empêcher d’en vouloir à Mélusine. Je chasse ces idées aussitôt.

— Je rajoute un couvert, lui demandais-je en souriant.

— Je m’assois à côté de toi après que j’ai mis mon pyjama.

Enzo fait un clin d’œil à son père et rejoint sa mère qui n’a toujours pas bougé. Elle suit enfin son fils qui a grimpé les marches à toute vitesse.

Gabriel s’approche alors de Morgan et je l’entends lui dire :

— Tu as bien de la chance !

Leurs regards se croisent. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire, je romps un bout de pain pour me donner une contenance et parce que j’ai faim. Pourtant, je le trouve bien fade.

© Isabelle-Marie d’Angèle (Janvier 2023).

À très vite…