Bonjour toi 😉
C’est parti pour le chapitre 10 🙂.

Chapitre 10
Je n’avais rien raconté à Kawas, j’avais éludé les questions, lui rappelant que j’étais son commandant, qu’il devait me faire confiance. Je l’avais vexé, il s’était muré dans un silence hostile et devant le commissariat, il n’attendit pas que la voiture soit arrêtée, il en sortit en claquant la porte.
Je devais faire face. J’avais une équipe à diriger, je ne pouvais pas faire n’importe quoi. J’aimais mon métier et Ô grand jamais, je ne trahirai ce pour quoi j’avais signé.
Je détachai mes cheveux, posai mes pieds sur le bureau et laissa tomber ma tête en arrière. Je regardai le plafond tentant de faire le vide dans mon esprit quand la ligne du téléphone m’avertit que j’avais un appel extérieur.
Surprise parce que c’était le travail du collègue de l’entrée de me passer les appels, je répondis.
— Commandant Merlin, j’écoute.
— Rendez-vous à 12 heures à votre brasserie habituelle.
Je n’eus pas le temps de réagir que l’inconnu avait raccroché. J’avais entendu une voix d’homme, c’est tout. Je pensais qu’en plein midi, je ne risquais pas grand-chose, mais j’hésitai à prévenir Kawas. Pourtant, mon intuition me conseillait de le faire. Après tout, on ne m’avait pas dit de venir seule.
Théo Kawas entra dans le bureau, le regard noir.
— Vous m’avez fait appeler Commandant ?
Je souris pour calmer le jeu.
— D’accord, tu es en colère et je le comprends. C’est pourquoi je fais appel à ton avis.
Je lui relatai le coup de fil. Il fronça les sourcils, mais ne dit rien.
— Je vais y aller, mais tu vas te planquer dans la brasserie. Tu pourras surveiller la personne qui va me parler et voir si elle est connue de nos services. Au moindre problème, tu interviendras. En plein midi, je ne risque pas grand-chose.
Il hocha la tête et sortit du bureau sans un mot. Je l’avais vraiment vexé. J’appelai ensuite les urgences, déclinai mon identité et demandai des nouvelles de Paco. Elles étaient rassurantes et l’on m’informa qu’il pourrait rentrer chez lui en fin de journée. Je cherchai le numéro de la clinique vétérinaire, et là aussi, Tuck allait bien. La balle lui avait effleuré la patte, son maître pourrait venir le récupérer dès que ce sera possible.
La matinée passa vite à signer des papiers et régler des affaires courantes. Kawas me rejoignit à midi moins cinq. Sans un mot, nous quittâmes le commissariat à pied pour trouver la brasserie située au coin de la rue.
Le capitaine marchait devant et ne s’occupait pas de moi, il s’installa au bar le premier. Il était connu, je vis le patron le saluer et lui désigner l’ardoise. Je l’entendis commander le plat du jour alors que j’entrais à mon tour. Je choisis une table d’où je pouvais regarder les allées venues des passants.
Je reconnus immédiatement l’homme qui s’assit face à moi. Kawas l’avait repéré également, il me fixa aussitôt attendant un signe de ma part. Je baissai les yeux. Il n’intervint pas.
— Diego Destrio.
— Lui-même et enchanté de faire enfin votre connaissance.
Ce bandit hors-norme n’avait jamais été pris. Comme tous les collègues à qui ils avaient eu à faire, je n’avais pas réussi à le coffrer. Il était de toutes les histoires de vols, arnaques, j’en étais certaine, mais il était très doué. Un genre de Gentleman cambrioleur, ma foi ! Et soudain, je réalisai.
— Vous connaissez François ? C’est pour ça que vous m’avez fait venir ?
Diego Destrio affichait une soixantaine bien conservée. Habillé d’un costume de lin noir, il faisait classe avec son borsalino vissé sur ses cheveux attachés en catogan.
— Est-ce que je peux vous faire confiance ? Paco est sûr de vous, mais pas moi.
Il s’adossa à sa chaise et sourit.
— Appelez donc votre collègue, qu’il se joigne à nous. Il m’a reconnu de toute façon, ne le laissez pas mijoter seul au bar.
— Qu’attendez-vous de moi, Destrio ? Ne me racontez pas que Paco fait alliance avec vous ?
— Faire alliance avec moi ? Paco est mon fils. Comprenez alors que je sois inquiet.
J’en restai coite. Je le vis comme dans un brouillard faire signe à Kawas. Le capitaine saisit une chaise et s’assit à côté de moi. Destrio lui tendit la main. Si un jour j’avais pu imaginer qu’il serrerait la main du voyou qu’il cherchait à coffrer depuis des années !
Destrio reprit :
— Comme je le disais à votre Commandant, Paco est mon fils. Je ne veux pas qu’il lui arrive quoique ce soit, sinon… vous me connaissez, je me vengerai et là…
Il laissa sa phrase en suspens, balaya la salle de la brasserie du regard et continua :
— Vous savez très bien que jamais le sang n’a coulé dans mes affaires et…
Kawas l’interrompit en tapant du poing sur la table. Le bruit fit se retourner quelques clients et le patron, surpris, faillit lâcher ses verres. Destrio, d’un geste de la main, signifia que ce n’était rien.
— Bon Dieu Destrio, je pourrais vous coffrer pour ce que vous venez d’avouer.
— Avouer quoi mon ami ? Qu’il n’y a jamais eu de meurtres dans mes affaires ? Fort heureusement ! mais, s’il arrive quelque chose à mon fils, je ne garantirais plus rien. Est-ce clair ?
Il leva la main.
— C’est moi qui vous invite. Faites donc apporter le plat de mon ami à cette table.
Kawas bouscula sa chaise en affirmant qu’il n’avait plus faim, mais Destrio lui attrapa le bras.
— Ne me mettez pas en colère, j’ai horreur de ça, rasseyez-vous et agissez comme votre commandant, elle reste digne et prête à m’écouter. Prenez-en de la graine, Capitaine.
— C’est ton père ? Il me fout la trouille.
Paco éclata de rire. Je découvrais son père qui sortait de la voiture et semblait de fort méchante humeur. Le grand-père de Paco l’attrapait par les épaules et le forçait à rentrer.
— Qu’est-ce qu’il a ton père ?
— C’est surement son travail.
— Il fait quoi ?
— Alors là j’en sais rien. Dans les affaires qu’il me dit ! en tout cas, il gagne bien sa vie, ça, c’est sûr.
— Et ta mère ?
— Elle est morte. Un accident !
— Désolée. T’es malheureux ?
— Je ne l’ai pas beaucoup connue. J’étais bébé. Papa raconte souvent qu’il a fait payer ceux qui s’en sont pris à elle.
— Commandant Merlin ?
Je sursautai. Destrio me regardait. Il avait toujours le même regard que lorsque j’étais gamine. Je me souvenais qu’il me faisait peur parce que ses yeux bleus avaient le don de vous transpercer, ce n’est pas qu’ils n’étaient pas beaux, mais leur couleur vous mettait mal à l’aise. Ceux de Paco étaient bruns.
— Désolée, vous disiez ?
— Je compte sur vous pour coffrer ceux qui s’en sont pris à mon fils.
Les plats arrivaient. Je n’avais pas réagi lorsque Destrio avait commandé pour moi. Le confit de canard me rappela la cuisine que faisait le grand-père de Paco. Il pensait la même chose que moi, car il en fit la remarque.
— Vous pourriez m’en dire un peu plus ?
Le goût de la volaille me fit retrouver la parole. Destrio posa ses couverts et me fixa. Kawas repoussa son assiette.
— Une bande voyous l’a tabassé, je veux savoir qui et pourquoi.
Le capitaine leva les yeux au ciel et gronda :
— Ne me faites pas croire que vous n’êtes au courant de rien. Votre fils est certainement celui qui vide les coffres et distribue l’argent à ceux qui en ont besoin. Un Robin des bois des temps modernes.
Destrio ne releva pas.
— Vous commandant, quelle est votre opinion ? Mon fils un voyou ?
Son regard m’indiquait clairement de me taire. Heureusement, le serveur vint nous débarrasser et nous proposer un dessert.
— Un café suffira, répondit Kawas.
— 3 cafés et l’addition. C’est pour moi !
Kawas se rebiffa et sortit sa carte, mais Destrio posa sa main sur la sienne.
— Ne refusez pas, c’est cadeau.
Le capitaine repoussa brutalement sa chaise et quitta le bar. Destrio haussa les épaules et indiqua au patron de n’apporter que 2 cafés. Puis il saisit ma main et m’attira vers lui.
— Angèle, je compte sur vous. Mon fils est tout ce qu’il me reste. Je refuse qu’il lui arrive quoique ce soit. D’ailleurs, je lui avais dit de ne pas se rapprocher de vous, mais il n’en a fait qu’à sa tête. J’imagine que vous avez compris que son poste de directeur de banque n’est qu’une couverture. Dans nos affaires, il faut garder l’esprit clair et ne pas s’abandonner aux sentiments. J’en ai fait les frais, il y a longtemps, je me suis promis que ça ne se reproduirait jamais. Dois-je encore répéter ?
— Qu’attendez-vous de moi ?
— Que vous coffriez les énergumènes qui s’en sont pris à mon fils et qu’ensuite vous le laissiez mener ses histoires à sa guise. Il se pourrait qu’il ait besoin de vos services et dans ce cas-là, vous fermerez les yeux.
Je ne pouvais pas accepter et je le lui répétai.
— Angèle, vous êtes commandant, c’est vous qui gérez votre commissariat.
— Comme vous le dites si bien, j’ai une équipe qui me fait confiance. Le capitaine Kawas ne me laissera jamais cacher des preuves. J’ai aussi une hiérarchie et des comptes à lui rendre.
— Je le sais comme je me souviens que gamine, vous couvriez régulièrement les bêtises de Paco.
Les cafés arrivèrent. Il l’avala d’un trait et paya l’addition. Il se leva, posa sa main sur mon épaule.
— J’espère ne pas avoir à vous revoir même si c’était un plaisir.
Il disparut me laissant seule avec ma tasse.
À suivre…
© Isabelle-Marie d’Angèle
