Journal de Marie-Sophie

Bonjour toi 😉

Maries-Sophie continue de nous raconter ses déboires.

Les jours défilaient, je dirais même les semaines et j’allais bientôt atteindre le 3e mois de grossesse. Je faisais bonne figure à la boulangerie, mais j’eus vite compris que les habitants savaient que Morgan ne se souvenait pas de moi à leurs regards compatissants. Jamais, ils n’avaient osé m’aborder franchement, mais je voyais bien à leurs sourires et leurs soupirs en prenant leur pain qu’ils étaient de tout cœur avec moi.

Le plus malheureux était Saverio qui chaque matin en venant chercher sa commande me suppliait d’être patiente. Il m’affirmait qu’il n’était pas le seul à parler de moi à Morgan, il tentait de lui raviver sa mémoire en lui racontant des anecdotes nous concernant, mais rien n’y faisait.

J’appris par lui que Morgan était suivi par un psychiatre, qu’il s’y rendait régulièrement et qu’à chaque fois il allait s’accouder à son bar. Il se rendait bien compte que quelque chose clochait quand mon nom était cité chez le médecin.

Gabriel me réconfortait d’autant plus que la date de la première échographie approchait. Archibald et Mélusine s’étaient évidemment proposés pour m’accompagner.

C’était justement aujourd’hui. Fébrile, je me préparais. J’allais peut-être connaître le sexe de mon bébé même si Gabriel m’avait dit que c’était un peu tôt. Mélusine me racontait comment ça s’était passé pour elle. Archibald était avec elle. Je m’en voulais encore d’avoir été absente pour elle. Elle assurait que tout ça, c’était oublié.

Je sirotais mon café devant la fenêtre de la cuisine quand je vis apparaître dans le jardin comme avant, Morgan.

Le cœur battant, je posais ma tasse sur l’évier et lui ouvrais la porte.

— Je vous dérange peut-être ? Vous alliez partir ?

Je bégayais.

— Heu… non. Je… tu veux bien me tutoyer, le vous me stresse.

Il hocha la tête.

— Tu as une minute ?

Je jetai un coup d’œil au coucou accroché au-dessus de la table. Archibald n’allait pas tarder, il prendrait au passage Mélusine qui laissait Enzo chez François.

Morgan entra dans la cuisine. Il y était si souvent avant son accident que ça me faisait tout drôle.

— Tu me sers un café ?

Machinalement, il s’approcha du placard pour saisir sa tasse comme il le faisait habituellement. Je retins mon souffle. Il se tourna vers moi.

— C’est là ?

Il ouvrit la porte et prit son mug sans aucune hésitation. Je n’osais faire un geste. Il se servit comme s’il était chez lui.

— Mon psychiatre me préconise de te voir souvent. Il dit qu’il y a un blocage, il ne le comprend pas. Saverio ne cesse de me raconter tout ce que nous faisions ensemble, il m’affirme que je n’ai pas arrêté de lui dire que tu étais la femme de ma vie.

Morgan débitait ces mots sans me regarder et soudain il se tourna vers moi.

— Pourquoi je ne m’en souviens pas ?

Il soupira.

À cet instant précis, ma décision fut prise.

— Excuse-moi, j’ai un coup de fil à passer. Es-tu libre là tout de suite ?

Je n’attendis pas sa réponse et appelai Archibald.

— Tu allais partir ? demanda Morgan en déposant son mug sur l’évier.

— Oui et tu vas m’accompagner. J’ai quelque chose à te montrer, peut-être que ça t’aidera à te souvenir.

Je m’installai au volant et Morgan s’assit côté passager. Le trajet jusqu’à l’hôpital se fit dans le silence, mais quand il reconnut l’endroit, il se tourna vers moi et je sentis son inquiétude.

— Tu es malade ?

Je lui souris sans répondre. Ensemble, nous nous dirigeâmes à l’accueil.

Nous n’attendîmes pas longtemps. La gynécologue nous invitâmes à entrer.

— Comment allez-vous, madame Delully ? Ravie de vous rencontrer, monsieur.

Morgan lui fit un signe de tête. Il avait dû réaliser que nous étions dans un service typiquement féminin, à regarder les patientes qui affichaient toutes un ventre plus ou moins rebondi.

Elle nous proposa de passer dans la pièce adjacente cachée par un paravent, je m’allongeai sur la table. Morgan me suivit.

Quand il vit qu’elle me soulevait le pull et qu’elle étalait du gel sur mon ventre, il haussa les sourcils.

La gynécologue mit certainement ça sur le compte de l’anxiété, elle ne fit aucun commentaire.

Dès qu’elle commença l’examen, nous entendîmes immédiatement le battement régulier du petit cœur de notre bébé. Mes yeux se remplirent de larmes et je fixai Morgan qui ne lâchait pas du regard l’appareil, alors que le médecin affirmait que le fœtus était en pleine forme, il n’y en avait qu’un, nous dit-elle en souriant. Je n’écoutais rien, je surveillai la réaction de Morgan.

C’est alors qu’elle nous demanda :

— Souhaitez-vous connaître le sexe de votre enfant ?

Ce fut Morgan qui répondit.

— Vous pouvez déjà le voir ?

Elle rit.

— C’est un bébé bien constitué, j’ai l’impression que vous approchez des quatre mois. Il faudra revérifier les dates de vos dernières règles madame. Alors, je vous l’annonce ou vous préférez avoir la surprise ?

Morgan me regarda, il sourit et je pensai retrouver enfin le Morgan d’avant.

— C’est toi qui décides…

Il se pencha vers moi et murmura à mon oreille :

— Je ne me souviens de rien, tu me l’avais dit ? Comment ai-je pu oublier une nouvelle de cette importance ?

© Isabelle-Marie d’Angèle (février 2023)