Bonjour toi 😉

Les journées à la boulangerie passent toujours très vite. Morgan vient souvent me faire un petit coucou. Il en profite pour ramener du pain pour le repas du soir. C’est bientôt la fermeture, il ne reste pratiquement rien sur les étagères. Pour en avoir discuté avec Archibald, il est ravi. Si ça continue comme ça, ce qu’il a investi sera récupéré. Il a toujours l’idée de son food truck. Il ne parle guère de Cybèle Iraola, et j’avoue qu’avec l’histoire de Gabriel et Mélusine, la jeune femme m’est complètement sortie de la tête. Mais quand on parle du loup, la voilà qui entre dans la boutique.

Elle me sourit puis regarde, navrée, l’étal vide.

— Je crois que je suis encore arrivée trop tard.

— Il reste une baguette aux céréales, c’est tout, je suis désolée. Mais pourquoi ne réservez-vous pas le matin, ainsi ça vous éviterait de vous déplacer pour rien.

Sur ces entrefaites, Archibald nous rejoint, souvent nous fermons la boutique ensemble et repartons tous les deux.

— Bonsoir Cybèle.

Il lui fait la bise.

— Je vais prendre la baguette et pour demain vous me gardez le pain spécial, c’est d’accord ?

Je note sur le grand cahier ce qu’elle souhaite. Elle paie et s’en va.

Surprise, j’interroge mon ami du regard.

— Elle ne devait pas avoir envie de discuter, grommelle Archibald. On ferme, je t’aide à ranger.

J’avais déjà fait le plus gros, il restait le coup de balai à passer. La caisse était faite. Ce n’est pas l’argent de la baguette qui allait changer grand-chose.

— Saverio m’a parlé d’une femme qui pour quelques heures accepterait de faire le ménage ici. C’est celle qui s’occupe des chambres d’hôtes de François, ainsi tu pourrais repartir plus tôt le soir.

— C’est toi le patron.

Archibald tire les stores et descend le volet roulant, nous sortirons par-derrière. Je le vois qui suspend son geste, il ouvre la porte et Mélusine apparait, seule.

— J’ai laissé Enzo avec Morgan, nous rassure-t-elle. Je voulais te parler, tu veux bien MarieSophe ?

Archibald fait mine de s’en aller, mais elle le retient par la main. Il nous entraine alors dans son fournil où l’odeur de pain distille toujours une ambiance de zénitude.

Elle ne s’embarrasse pas de préambule et attaque d’entrée. Je la reconnais bien là, elle va droit au but.

— Je suis désolée Marie-Sophie si je t’ai blessée. C’est vrai que je n’ai pas réfléchi aux conséquences, j’étais complètement obnubilée par cette envie d’avoir un bébé et Gabriel m’a semblé l’homme de la situation.

— L’homme de la situation ?

Je suis stupéfaite.

— Oui enfin… il était le seul que je connaissais et en qui j’avais confiance.

— Et si j’étais amoureuse de lui ? Tu y as pensé ?

D’un coup, la situation m’échappe. Je n’ai plus envie de savoir ni de comprendre, comme l’a dit Archibald c’est son histoire. C’est elle qui s’en dépatouillera quand Enzo posera des questions. Je la regarde dans les yeux, hausse les épaules et grommelle :

— Laisse tomber, tout ça n’a plus d’importance. Enzo est là, tu es heureuse avec lui, il l’est aussi parce qu’il a trouvé un papa. C’est toi seule qui géreras la situation quand le moment sera venu.

— Je ne voudrais pas que notre amitié en pâtisse, murmure-t-elle.

— Tu ne crois pas qu’il fallait y penser avant ?

— Que dois-je faire ?

Comme toujours, elle a le don de m’émouvoir. Archibald qui n’a rien dit, passe un bras autour de mes épaules et répond à ma place.

— Rien. Laisse le temps faire son œuvre, on verra bien.

— Marie-Sophie ?

Je ne sais même plus quoi dire. Cette situation me dépasse, je soupire.

— On rentre ? Je suis un peu fatiguée.

Archibald nous entraine, ferme la porte derrière lui et nous faisons le chemin en silence. J’entends au loin les bêlements des brebis, je respire l’air vif de la soirée. J’aperçois vite les lumières de notre maison.

Nous arrivons et Enzo se jette dans les bras de sa mère comme s’il ne l’avait pas vue depuis longtemps, ce qui fait éclater de rire Morgan. Il a préparé le dîner et ça sent rudement bon. Il a dû faire une soupe avec tous les légumes qu’il n’avait sans doute pas vendus au marché. Je passe à la salle de bains pour me laver les mains et c’est alors qu’une nausée me prend par surprise. Je n’ai rien avalé depuis le midi, pourtant ce n’est pas ce qui manque chez Archibald. Pas question d’alerter mes amis, ils en feraient tout un fromage. Je retourne dans la cuisine où je les retrouve qui papotent joyeusement. Mélusine emmène Enzo pour qu’il prenne son bain, je commence à mettre la table. On frappe au carreau, c’est Gabriel.

Enzo qui a reconnu sa voix quand il nous a salués, descend en trombe l’escalier, torse nu, et se jette dans ses bras. Son bonheur fait plaisir à voir. Gabriel l’embrasse.

— Maman m’a dit que c’était bientôt les inscriptions pour la maternelle. Tu m’y amèneras avec elle ?

Mélusine est revenue chercher son fils, l’eau du bain étant prête. Elle a entendu la question, elle répond à la place de Gabriel.

— Ce n’est pas encore la rentrée, tu as bien le temps d’y penser.

Il n’écoute pas et prend la tête de son père dans ses mains l’obligeant à le regarder bien face.

— Tu viendras ?

— Si je ne suis pas de garde, oui, je viendrai. D’ailleurs, Mélusine, ça tombe bien que tout le monde soit là. J’aimerais régulariser la situation à la mairie. 

Un silence de plomb s’installe dans la cuisine, seul Enzo qui ne comprend pas demande :

— Tu veux dire quoi papa ? C’est quoi régula…riser ?

C’est la première fois qu’il l’appelle comme ça. Gabriel et Mélusine pâlissent en même temps.

Morgan répond aussitôt :

— Gabriel va écrire sur un papier qu’il est ton papa, vu qu’il n’a pas pu le faire quand tu es né.

Enzo va avoir trois ans, il se contente de l’explication.

Je regarde Mélusine. Elle qui voulait avoir un enfant toute seule, c’est raté. Gabriel a bien l’intention de faire valoir ses droits et je suis tout à fait d’accord avec lui. Il ne perd pas de temps et je vois au froncement de sourcils de mon amie qu’elle n’avait pas prévu ça. Je ne peux m’empêcher de penser comme une gamine bien fait ! non mais qu’est-ce qu’elle a cru elle ! Je te fais un gosse dans le dos et basta ? Je connais un peu Gabriel, c’est un mec bien, il ne va pas fuir ses responsabilités, d’autant plus qu’avec la situation qu’il a, Mélusine aura moins de soucis à se faire pour l’éducation de son fils. Mes pensées vagabondent et je ne peux m’empêcher d’en vouloir à Mélusine. Je chasse ces idées aussitôt.

— Je rajoute un couvert, lui demandais-je en souriant.

— Je m’assois à côté de toi après que j’ai mis mon pyjama.

Enzo fait un clin d’œil à son père et rejoint sa mère qui n’a toujours pas bougé. Elle suit enfin son fils qui a grimpé les marches à toute vitesse.

Gabriel s’approche alors de Morgan et je l’entends lui dire :

— Tu as bien de la chance !

Leurs regards se croisent. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire, je romps un bout de pain pour me donner une contenance et parce que j’ai faim. Pourtant, je le trouve bien fade.

© Isabelle-Marie d’Angèle (Janvier 2023).

À très vite…

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