Chapitre 7
Léonie ne décolérait pas. C’était dimanche. Il était huit heures du matin et elle était déjà debout, alors qu’elle pouvait trainer au lit.
Elle se rappelait encore la peur qu’elle avait eue lorsque la vache s’était approchée d’elle. Le pire, c’est que Léandre comme les deux autres avaient pris un fou rire incontrôlable alors qu’elle tentait désespérément d’ouvrir la porte de la grange. Quand elle avait enfin réussi, elle était partie en courant, comme si elle avait le diable à ses trousses, se tordant les chevilles à qui mieux mieux. Elle avait bien entendu qu’on appelait son nom, mais elle ne s’était pas retournée. Marc l’avait rattrapée avec son véhicule. Il avait ouvert la portière. Mariette était installée à l’arrière. Sans un mot, elle était grimpée à l’avant, les bras croisés, refusant toute discussion. Il l’avait déposée devant chez elle. Elle était rentrée sans un regard vers eux.
Le samedi, Mariette avait tenté de lui reparler de la soirée, mais elle avait vite compris que son amie était en colère et surtout vexée.
La journée s’était déroulée normalement. Les clientes avaient peut-être senti que quelque chose clochait entre les deux coiffeuses, mais discrètes, pour une fois, elles ne firent aucune réflexion.
Elle était prête de bonne heure un dimanche, ça ne lui ressemblait pas. Elle mettait en route sa cafetière quand un Bip lui signala un message. Elle lut
« Bravo, vous avez réussi votre deuxième rendez-vous. En route pour le troisième ! Cupidonetmoi.com »
Elle jeta son portable sur la table. Sa résolution était prise, il allait voir de quel bois elle se chauffait, le Léandre Castillo. Elle avala son café et rejoignit sa coccinelle verte garée devant chez elle.
Francis Castillo posté devant chez lui la vit arriver dans la cour. Il retint le border collie qui aboyait et tournait autour du véhicule. La jeune femme hésitait à descendre.
— N’ayez pas peur ! Il n’est pas méchant !
Léonie sortit de sa voiture et tendit la main à Francis. La ressemblance entre le père et le fils la frappa. Après les salutations d’usage, elle demanda si elle pouvait parler à Léandre.
— Il est encore dans la grange ma p’tite dame. Je vous y conduis.
Elle hésita et il s’en rendit compte.
— Ne vous tracassez pas ! Vous ne salirez pas vos chaussures.
Elle n’osa pas refuser et le suivit.
Devant la porte, elle l’interrogea.
— Elles sont attachées ?
— Qui ? Les vaches ? Bien sûr, toujours pendant la traite. Ce serait le bazar sinon !
Il rit et ajouta :
— Même Rosalie, si c’est ça qui vous inquiète ! J’ai cru comprendre que vous n’aviez pas fait amie-amie la dernière fois que vous étiez vues ?
Il poussa la porte avant qu’elle ne réponde.
— Léandre ? Quelqu’un pour toi !
Léonie constata qu’effectivement, mise à part l’odeur toujours particulière, la grange était propre. Elle aperçut Léandre, la fourche à la main qui remettait du foin dans les mangeoires de ses bêtes. Affublé de sa sempiternelle combinaison verte, il venait vers elle.
Elle ne le laissa pas parler et attaqua bille en tête.
— Vous allez me foutre la paix avec cette application de rencontres ? Cupidonetmoi.com.
Francis interrogea son fils, surpris.
— Tu es sur un site toi ? Première nouvelle !
Léandre posa sa fourche, s’approcha plus près de Léonie et éluda la question.
— Bonjour quand même ! Je croyais qu’on se tutoyait ?
Puis, il se tourna vers son père.
— C’est une idée complètement débile de Marc de m’avoir inscrit. Je n’y suis pour rien.
Il regarda ensuite Léonie.
— Et pour te répondre, je n’ai rien fait sur cette application pour qu’on se rencontre. Mais si c’est à cause d’elle que j’ai droit à ta visite si tôt un dimanche matin, tu m’en vois ravi ! J’ai terminé. Tu viens prendre le petit déjeuner avec moi ?
Sans attendre, il se déshabilla de sa combinaison, l’accrocha à un porte-manteau et apparut en jeans et chemise ouverte.
Son père passa devant et Léandre invita Léonie à sortir. Francis, discret, les abandonna.
Mais Léonie ne l’entendait pas de cette oreille. Elle stoppa devant sa voiture.
— Non merci, je repars.
— Prends au moins un café ? Un thé ? Un chocolat ?
Il s’était arrêté à côté d’elle et elle eut l’agréable surprise de respirer une odeur de foin et de Giorgio Armani comme l’avait prédit Mariette. Elle rougit.
— Alors ? De plus, le dimanche Christophe passe m’apporter ses viennoiseries toutes chaudes…
Devant son hésitation, il avoua :
— D’accord, je m’excuse pour vendredi soir. Je n’ai pas pensé que tu pouvais avoir peur de ma vache. Elle n’est pas méchante. Mais tu étais drôle et…
— Tu t’es bien moqué de moi ! Même ton père est au courant !
À nouveau, elle vit que Léandre retenait un rire. Il lui prit la main et voulut l’entrainer.
— Juste un petit déjeuner pour me faire pardonner et tu me montreras ton application, mais je ne t’oblige à rien. Les personnes qui entrent chez moi sont toujours les bienvenus et souvent des amis.
Il l’abandonna devant sa voiture et se dirigea vers sa maison.
Ses parents regardaient discrètement par la fenêtre. Francis grommela :
— Il ne va quand même pas la laisser toute seule ? Heureusement que le chien est avec nous. Qui est-ce ? Tu la connais ?
— C’est Léonie, la coiffeuse.
— Ah ! elle rentre chez lui ! Il est aussi tête de mule que sa Rosalie, la porte est restée ouverte, mais il ne l’a pas attendu.
— Bah, il était certain qu’elle allait le suivre.
— Tu le savais qu’il s’était inscrit sur un site de rencontres ?
— Je l’ai appris par hasard. Regarde, elle s’appelle Cupidonetmoi.com.
— C’est quoi ce nom à coucher dehors ? Tu crois que ça va marcher ? Elle a peur des vaches, craint de se salir les chaussures, ça commence bien !
— Francis, on ne s’en mêle pas !
Léandre disposa les chocolatines et les croissants dans une corbeille et invita Léonie à s’approcher du bar comptoir.
— Ce sera plus sympa ici que sur la grande table. Je te prépare un café, un thé ?
— Un café, ça ira !
Pendant que la machine glougloutait, il demanda :
— Tu me montres le message que tu as reçu ? Peut-être ai-je eu le même !
Effectivement, les mots identiques s’affichaient sur son portable.
— Puisque c’est comme ça, profitons-en pour faire mieux connaissance.
Il servit le café dans les mugs.
— Choisis ! Croissant, chocolatines ?
Il croqua à pleines dents dans un croissant, elle saisit le deuxième.
— J’ai bien compris Léonie que tu n’aimais pas trop les agriculteurs, mais ça ne nous empêche pas d’être amis. Cette application aura au moins réussi ça.
— Tu as raison.
— De toute façon, nous allons être amenés à nous revoir pour la journée découvertes, autant bien nous entendre.
Il tendit la main.
— Tope là ! Amis ?
— Amis ! Peut-être pourrions-nous nous désinscrire de l’application aussi ?
— Faisons ça !
Ils saisirent leur portable.
Impossible de vous déconnecter. Le programme n’est pas terminé tant que je n’ai pas réussi ma mission. Vous n’êtes pas en couple.
À suivre…