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Lorsque je repensais à la colère de Gabriel ce jour de janvier où il avait déboulé chez nous, j’en étais encore toute chamboulée. Tout d’abord, je n’avais pas compris comment il avait pu être au courant, le secret semblait être bien gardé. C’était sans compter sans Enzo qui avait la langue bien pendue et discutait souvent avec son père et racontait tout ce qui se passait à la maison.
Heureusement que Pépé Charles entendant les éclats de voix depuis chez lui était venu aux nouvelles. C’était lui qui avait calmé Gabriel en grondant comme un lion. Il lui avait intimé de se taire même s’il ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’il disait. Notre vieil ami n’était au courant de rien et il ne savait pas de quel mariage Gabriel parlait. Quand il réalisa que c’était du nôtre, il comprit rapidement la situation et avait entrainé Gabriel chez lui. Celui-ci n’avait pas osé refuser, on ne refusait rien à un vieux monsieur pas vrai ? Charles m’avait fait un clin d’œil, mais j’avais compris qu’il avait été déçu de ne pas avoir été mis dans la confidence. D’ailleurs, une fois Gabriel parti, il était revenu dans ma cuisine et m’en avait fait la remarque.
— Tu ne me fais plus confiance ma petiote ? Je sais pourtant tenir ma langue.
Il s’était assis à ma table et m’avait invité à venir le rejoindre.
— Alors comme ça tu vas enfin te marier avec Archibald ? Je suis bien content. C’est qu’il t’aime depuis longtemps ce garçon.
Il se tut et reprit :
— Gabriel aussi et ce depuis qu’il habitait en face de chez toi. Pour une femme qui s’imagine que personne ne la remarque, tu as deux hommes qui ont le cœur qui bat pour toi.
Je m’assis à côté de lui et soupirai.
— Je croyais que c’était oublié tout ça. En plus, il a quand même eu un fils avec ma meilleure amie.
Il bougonna.
— Ouais… et toi tu as été amoureuse de Morgan et tu as même attendu un petit de lui.
Je repense à ce qui aurait pu être si je n’avais pas fait de fausse couche et si Morgan n’avait pas eu cet accident.
— Je sais ce que tu te dis, reprit Charles. Archibald ne t’aurait jamais avoué ses sentiments.
Il posa sa main sur la mienne.
Et tout s’enchaina, Saverio qui frappait à fenêtre en criant que je devais venir rapidement, il y avait un problème à la boulangerie.
Nous nous levâmes en vitesse, j’ouvrai la porte à la volée et tout en montant dans la voiture de Saverio, j’écoutais, horrifiée ce qu’il me racontait et là, la colère me submergea.
À peine arrivée sur la place, j’je sautai au bas du véhicule alors que Saverio n’était pas encore arrêté, je faillis m’étaler puis j’entrai en courant dans la boutique. Ce que je découvris dépassait l’entendement.
Gabriel, furieux tenait Archibald par le col de son tablier et répétait qu’il n’avait pas le droit de m’épouser. Le calme d’Archi me stupéfia. Il ne répondait pas et se laissait faire, mais dès qu’il m’aperçut, il voulut faire un geste et Gabriel pensant qu’il allait le frapper, lui envoya son poing dans la figure. Archibald s’écroula.
— Tu es complètement fou !
Je le bousculai pour m’occuper d’Archibald, qui sonné, peinait à se remettre debout. Il avait la lèvre fendue et saignait.
Dégrisé et son âme de médecin reprenant le dessus, il s’approcha et voulut regarder la plaie. Archibald détourna la tête et repoussa la main tendue.
Les clients présents dans la boulangerie discutaient entre eux, stupéfaits devant la scène à laquelle ils venaient d’assister. Ce n’était pas tous les jours qu’il y avait une bagarre dans le village. Les Basques ont le sang chaud certes, mais ils ne comprenaient pas ce qui avait provoqué la colère de cet homme qui était le père d’Enzo, filleul du boulanger. Une crise de jalousie ?
Archibald, royal, sourit à la cantonade.
— Rien de grave, vous n’avez pas aimé mon pain ? Je vous en offre un autre si vous le souhaitez. Vous avez le sang chaud ici !
Je ne reconnus pas sa voix. Ses yeux restaient froids, mais jamais il n’aurait avoué devant ses clients qu’il connaissait très bien Gabriel et que celui-ci était amoureux de moi. Il passa derrière le comptoir, refusa que je me penche sur sa plaie, et s’excusa pour le dérangement. Il annonça qu’il allait se laver les mains. Les Basques regardaient de travers Gabriel. Une femme s’avança vers lui et l’interrogea :
— Je vous reconnais, vous travaillez au service des urgences non ? Pour un médecin, je ne vous félicite pas !
Gabriel voulut s’en aller, mais les hommes présents dans la boulangerie firent bloc pour l’empêcher de sortir.
— Laissez-le passer !
Archibald était de retour et comme si de rien n’était, il demanda :
— À qui le tour ?
Les clients s’écartèrent, Gabriel sortit. Je voulus le suivre.
— N’y pense même pas, Marie-Sophie.
La voix d’Archibald resonna comme un coup de tonnerre. S’il y avait bien une chose dont j’avais horreur était qu’on me dise ce que je devais faire et Archibald le savait. Nous nous affrontâmes du regard. Saverio qui était face à moi, me retint par l’épaule et me murmura de laisser tomber. Je ne voulus pas me donner en spectacle, je passais dans l’arrière-boutique. Malheureusement pour moi, Gabriel avait eu la même idée. Il attendait devant la porte qui était ouverte. Personne ne pouvait le voir, mais il ne fallait pas qu’Archibald vienne.
J’étais furieuse, je l’entrainais à l’extérieur.
— Tu as complètement perdu la tête ? Tu as réfléchi à ta réputation ? Et Enzo ? C’est un petit village, il va vite être au courant, que vas-tu lui raconter pour expliquer que tu as frappé son parrain ?
— Je n’ai aucune excuse sauf d’être amoureux de toi. Quand je pense que j’en ai parlé à Archibald et que je lui ai même demandé si tu avais quelqu’un et qu’il m’a dit de tenter ma chance.
J’hallucinais. Gabriel comprit que je ne le croyais pas, il enfonça le clou, un sourire au coin des lèvres.
— Tu n’étais pas au courant ? Demande-le-lui, tu verras bien.
— Qu’est-ce qu’elle doit me demander ? Qu’est-ce que tu fiches encore ici ?
Nous n’avions pas entendu Archibald arriver. Sans réfléchir, j’attaquai bille en tête.
— Il parait que tu lui avais donné le feu vert pour tenter sa chance avec moi. C’est vrai ?
Gabriel affichait un sourire narquois et sûr de lui, il croisa les bras et dit :
— Alors ?
Le ridicule de la situation me sauta aux yeux. J’avais face à moi deux coqs en colère et l’idée que la poule c’était moi faillit me faire éclater de rire, mais au lieu de ça, j’aperçus Enzo qui déboulait dans la petite rue. Il pleurait et se jeta dans les bras de son parrain.
— C’est vrai que mon père t’a frappé ? C’est grave ? T’as mal ?
Il n’avait même pas remarqué que Gabriel était là. Les nouvelles allaient décidément très vite, à croire que comme il ne se passait pas grand-chose dans le village, une bagarre dans la boulangerie, c’était croustillant.
© Isabelle-Marie d’Angle (février 2024).
